Alors qu’une très grande part des "ateliers privés d’édition", qui ont dynamisé l’édition chinoise dans les années 2000, ont été rachetés depuis cinq ans par les maisons d’Etat faute de disposer des moyens d’un développement autonome (1), Thinkingdom affiche une santé insolente. Principal atelier privé d’édition du pays, le groupe fondé en juillet 2002 et basé à Pékin bénéficie d’une double activité d’édition et de diffusion-distribution. Il est aussi présent dans la production audiovisuelle. Avec 200 salariés au siège et 260 nouveautés par an, son chiffre d’affaires "devrait atteindre 150 millions d’euros en 2016", indique à Livres Hebdo son P-DG, Chen Mingjun. "Nous sommes au premier rang sur le marché du livre généraliste en Chine, revendique-t-il. Thinkingdom occupe continuellement la première place depuis six ans dans le palmarès des meilleures ventes de Dangdang.com [la principale librairie en ligne, NDLR], de même que dans le classement Xin Hua Wen Xuan, la librairie la plus représentative en Chine."
"Notre objectif initial était de publier des livres que nous aimions", poursuit Chen Mingjun. D’un naturel très discret, le P-DG de Thinkingdom est réputé pour son flair éditorial. Deux énormes succès ont lancé la maison : Cent ans de solitude de Gabriel García Márquez, vendu à plus de 5 millions d’exemplaires, et un ouvrage japonais pour la jeunesse, Totto-Chan, la petite fille à la fenêtre [publié en France aux Presses de la Renaissance et chez Pocket, NDLR], dont Thinkingdom "a vendu 9,1 millions d’exemplaires depuis sa sortie en juillet 2003 et continue à vendre 1 million d’exemplaires par an", précise Chen Mingjun. "La signification chinoise du nom Thinkingdom est "Nouveaux Classiques", qui exprime parfaitement notre objectif initial consistant à introduire en Chine, où elles étaient peu connues, des œuvres étrangères classiques d’après la Seconde Guerre mondiale. En 2009, nous nous sommes diversifiés pour devenir un atelier d’édition généraliste."
45 % de traductions
Thinkingdom privilégie la littérature et la jeunesse, "deux marchés loin d’être saturés", selon Chen Mingjun. "Les traductions représentent 45 % de notre production littéraire et 90 % en jeunesse, observe-t-il. Nous publions 5 à 10 titres français par an. Nous avons acheté les droits d’Astérix et publié tout récemment L’attentat de Yasmina Khadra et Le météorologue d’Olivier Rolin, avant Limonov d’Emmanuel Carrère, Le Club des incorrigibles optimistes de Jean-Michel Guenassia, Un fauteuil sur la Seine d’Amin Maalouf ou encore Le bon gouvernement et La société des égaux de Pierre Rosanvallon."
Pour accéder aux numéros ISBN, réservés en Chine aux éditeurs publics, "Thinkingdom a établi un bon partenariat avec beaucoup de maisons d’édition, se félicite Chen Mingjun. Il est vrai que la plupart des ateliers privés ont été rachetés par des maisons d’Etat, mais nous souhaitons que l’équipe des créateurs de Thinkingdom soit toujours majoritaire en son sein." L’indépendance de l’entreprise repose sur sa bonne santé financière. En outre, alors que la distribution des livres reste compliquée en Chine, "le plus important est de travailler attentivement et minutieusement l’éditorial, la promotion et la commercialisation du livre, estime le P-DG. Il n’existe pas d’élixir pour assurer à un titre le succès une fois pour toutes. Si beaucoup de nos livres se vendent sans cesse depuis leur publication, c’est grâce au travail attentif et minutieux de nos éditeurs et de nos commerciaux."
Chen Mingjun prévoit pour le marché du livre chinois "un âge d’or de dix à vingt ans, car l’augmentation de la population urbaine, passée de 150 à 450 millions et qui atteindra probablement 800 ou 900 millions, s’accompagne d’un accroissement de la population de lecteurs. Si notre taux de croissance est de 20 % à 30 % par an avec une production en titres stable, c’est grâce à cette hausse de la population urbaine." Pour l’avenir, le P-DG espère "que Thinkingdom deviendra un atelier d’édition généraliste avec un horizon international." L’acquisition, en juin dernier en France, de 51 % des éditions Philippe Picquier, dont le diffuseur-distributeur Harmonia Mundi Livre conserve 31 % des parts, s’inscrit dans cette stratégie. "Dès la première rencontre entre Monsieur Picquier et moi, j’ai regardé son catalogue, j’ai trouvé qu’il partageait la même conception de l’édition que moi, se réjouit le P-DG de Thinkingdom. La plupart des œuvres qu’il publie, nous les publions aussi, y compris des écrivains chinois tels Mo Yan, Yu Hua, Wang Anyi, Yan Lianke et des Japonais comme Yasunari Kawabata, Kotaro Isaka ou Miyuki Miyabe. Notre investissement ne vise pas le profit, nous voulons aider Philippe Picquier à publier de plus en plus de bons livres." Le groupe a aussi acquis l’été dernier une petite maison d’édition jeunesse aux Etats-Unis. "Nous investissons si l’éditeur éprouve une passion sincère pour l’éditionet s’il a réellement besoin de fonds, explique Chen Mingjun. S’il aspire seulement à être acheté comme une marchandise, cela ne nous intéresse pas."
(1) En Chine, seuls les éditeurs publics bénéficient de numéros ISBN, qu’ils revendent, cher, aux "ateliers d’édition" privés.