Qu’ils aient photographié des guerres, des scènes de crime ou des rebelles afghans, qu’ils soient réels ou imaginaires, les photographes sont, comme les peintres, des sujets d’inspiration pour les auteurs de bande dessinée. Leurs interrogations sur le regard, la relation au sujet, le cadrage, la vérité des situations qui leur échappe sans cesse rejoignent les questions des dessinateurs. En imaginant le personnage de Joseph Wallace, un jeune photographe scrupuleux de Pittsburgh, dont la vie va, en 1867, basculer au contact des Sioux Oglalas qui le baptisent Etunwan (Celui-qui-regarde), Thierry Murat signe son plus beau livre.
Trente-sept ans avant qu’Edward Curtis ne se lance dans sa formidable entreprise de photographie des Indiens à la demande du président Theodore Roosevelt, Joseph Wallace se trouve associé à une mission d’exploration scientifique des territoires de l’ouest du Mississippi. On attend de lui qu’il photographie les paysages, mais lui se passionne pour les autochtones. A peine rentré auprès de sa femme et de ses deux enfants, il n’a de cesse qu’il ne reparte. Un an plus tard, sa deuxième expédition, solitaire cette fois, avec en toile de fond la brutalité de la conquête de l’Ouest, fait exploser ses certitudes. Le voilà écartelé entre la Bible et Les fleurs du mal, les deux livres qu’il a emportés. Envoûté par le pays et la magie sioux, que Thierry Murat restitue magnifiquement en faisant se mouvoir dans une lumière blafarde des hommes et des plantes réduits à l’état d’ombres, il va se perdre. Fabrice Piault