Chambre à part. Le lit au Moyen Âge n'avait rien à voir avec ce que nous connaissons aujourd'hui en Occident. Passionnant, il s'avère surtout un « véritable indicateur social ». Car le plumard n'est pas standard, comme le montre Chiara Frugoni (1940-2022) dans ce bref essai magnifiquement illustré, comme toujours chez la grande médiéviste italienne. Avec ce mélange de savoir et d'esprit qui est sa marque de fabrique, elle se saisit de ce meuble particulier pour raconter l'époque. Car le lit alors était un peu plus qu'un endroit où l'on passait la nuit. C'était au moins autant une pièce à vivre qu'à dormir. On y accueillait autant de monde que dans la cuisine. Parfois, on y déjeunait pour être près du feu. Le lit, c'est l'endroit où le corps se repose, mais c'est là aussi où reposent les attentes, les angoisses et les désirs. « Dans le lit, tout le monde dormait à moitié nu, jusqu'aux moribonds et aux malades, pour se débarrasser le plus possible de la compagnie importune des puces et autres insectes, les vêtements étant d'ordinaire jetés sur un bâton coincé entre deux murs afin que les rats ne puissent pas les atteindre. » À moitié nu, certes, mais toujours un bonnet de nuit sur la tête. Dans la journée, la chambre à coucher abrite bien d'autres activités que le sommeil. Charles VI y reçoit volontiers ses conseillers. Cette activité s'illustre dans le fameux « lit de justice » avec le trône surélevé, surmonté d'un baldaquin. Quant au lit d'apparat de Charles V le Sage, au XIVe siècle, il mesurait 40 m2 !
Chiara Frugoni propose une lecture subtile des illustrations, des enluminures mais aussi des textes, du Mesnagier de Paris, un traité d'économie domestique du XIVe siècle, aux nouvelles parfois très lestes du Décaméron de Boccace datant de la même période, sans oublier les histoires de Lancelot et de Merlin avec cet amour courtois jamais très loin du lit et de l'âtre où veille le diable. Mais celle qui fut une grande spécialiste de François d'Assise n'oublie pas les plus démunis. Car ce lit imposant avec ses brocarts, ses draps brodés et ses oreillers à glands n'est pas celui du pauvre. Dans celui des hospices et des tavernes, on s'y entasse souvent à plusieurs. On y fait des connaissances parfois mauvaises, on y attrape des maladies et surtout on y dort mal. Dans les monastères, les couches sont spartiates mais les abbés n'y sont pas toujours seuls. Dans les petites maisons de ville, tout un univers familial se constitue autour du lit. C'est une véritable chambre à part où l'on se préserve du froid et des agressions extérieures. « Par rapport à la France, où l'on privilégie le lit à courtines et à "ciel" en étoffe, en Italie, au XIVe siècle, à moins d'être très riche, un bon lit est constitué d'un solide sommier en bois et entouré de coffres ou bahuts, sans la moindre autre protection en tissu, surtout au-dessus de la tête de celui qui dort. » Rien d'anodin donc dans ce meuble principal, plus ou moins confortable, qui de la vie à la mort remet l'existence à l'horizontale.
Au lit au Moyen Âge. Comment et avec qui
Belles lettres
Tirage: 5 000 ex.
Prix: 21 € ; 160 p.
ISBN: 9782251455136