Livrer bataille. « Vous fabriquez des villes sans vous intéresser à ceux qui y vivent. » Le nouvel album de Chloé Wary aborde une tendance des plus actuelles, la gentrification des quartiers populaires. Comme Saison des roses, prix du Public à Angoulême en 2020, Rosigny zoo se passe à Rosigny, banlieue fictive gagnée par la rénovation urbaine. Gaby, étudiante en socio, s'insurge contre la décision de la municipalité d'expulser de son local l'association de quartier Cœur 2 Cité. En prévision des « Olympiades 2K24 », la mairie a en effet décidé de démolir le bâtiment qui l'hébergeait, son site faisant l'objet d'une « revalorisation ». Car à Rosigny, on compte « redynamiser les zones urbaines délaissées et travailler à une politique de la ville populaire d'excellence » − Chloé Wary pourrait écrire des discours officiels ! Mais la mairie, qui s'était pourtant engagée à reloger Cœur 2 Cité, ne leur a pas fourni de local, et les battles de break dance qu'organisaient Gaby et ses camarades se tiennent maintenant sur un terrain vague. Qui lui aussi finit évacué par la police. Et Gaby enrage contre sa mère, élue à l'urbanisme, qui répond à sa fille par des éléments de langage technocratiques (« primo accédants », « anticipation des flux »...). Elle en veut aussi à ses amis, trop passifs à son goût. Mais la colère et la confrontation sont-ils toujours les meilleurs moyens de résister ?

Chloé Wary concentre son récit sur les jeunes de la cité, ne mettant que rarement en scène les responsables de leur désarroi (les belles paroles des politiciens sont en voix off). Toutefois, parce qu'elle maîtrise son sujet et creuse finement les personnalités de ses protagonistes, l'autrice évite les clichés, ne sombre pas dans le manichéisme. Du minot danseur de hip hop au jeune intérimaire qui trime sur des chantiers, ses personnages sont incarnés, en mots mais aussi graphiquement. De son trait au feutre énergique, Chloé Wary excelle à représenter ces jeunes désabusés, la vitalité du break dance, la banlieue défigurée par les travaux. Ses couleurs sont vives, franches, comme pour faire ressortir la force et l'espoir qui animent ses personnages. Car, dans ce récit vivant qui est finalement une histoire de passage à l'âge adulte, les jeunes, tiraillés entre l'amour de leur cité, la nécessité de joindre les deux bouts au quotidien et la volonté de se préparer un avenir meilleur, n'ont pas l'intention de se résigner ou de se compromettre, et tentent d'agir au mieux face aux transformations subies par leur quartier. Même s'il faut pour cela, comme Gaby l'apprendra, faire des choix difficiles et se confronter à ses contradictions.