Ce matin d'octobre 1972, il fait encore nuit quand Narval passe pour la première fois les grilles des chantiers navals de La Seyne-sur-Mer. Marchant sur les pas de son père, il découvre un monde de fer et de feu, d'huile et de graisse, et les codes d'une communauté ouvrière qui forge peu à peu son identité. « Je ne dirai jamais que je travaille aux Chantiers, mais que j'en suis. Comme on est d'un pays, d'une région, avec sa frontière. » Son surnom, Narval le doit à la bosse apparue sur son front lors du sauvetage d'un intérimaire. Comme Barbe, Cochise ou Mangefer, il signe son acte de naissance au sein d'une communauté, véritable poumon économique de La Seyne-sur-Mer. « Depuis 1853, elle est là, à tenir la ville debout, à nourrir ses enfants. [...] Cent trente-six années. Ce n'est pas un jour ! »
Pourtant, un mot porté par la brise marine et les colonnes des journaux annonce bientôt « le chapitre ouvert des illusions perdues » : concurrence, et ses alliés choc pétrolier et crise mondiale. Peu à peu, les carnets de commandes se vident, la machine tourne au ralenti. Pour y remédier, le gouvernement fusionne les chantiers de La Seyne avec ceux de Dunkerque et de La Ciotat. Alors que la désindustrialisation est en marche, la lutte devient inévitable. « Ils vont nous rendre peu à peu orphelins d'un monde qui va filer entre nos doigts, condamnant le site, soufflant les bâtiments comme châteaux de cartes, et passant au tamis notre histoire industrielle. »
Leur histoire, Narval et ses camarades la défendront jusqu'au bout, et bien au-delà de la fermeture des chantiers en 1989. Le récit s'ouvre ainsi en mars 2015 à Paris, dans l'attente d'un verdict, du dénouement d'un scandale, celui qui a jeté sur les vies « un voile de malheur », celui qui, huit cents kilomètres plus au sud, a empoisonné les corps : le scandale de l'amiante.
À travers le récit d'une existence, Christian Astolfi déroule la chronique sociale d'un lieu emblématique de la lutte ouvrière, et le cheminement intime d'hommes et de femmes ayant consacré leur vie à leur métier, au péril de leur santé. Sans manichéisme, De notre monde emporté leur rend hommage et célèbre, en conjuguant lyrisme et sobriété, l'esprit de camaraderie qui encourage les uns à se lever pour que l'emporte la justice de tous.
De notre monde emporté
Le Bruit du monde
Tirage: 8 000 ex.
Prix: 21 € ; 190 p.
ISBN: 9782493206077