CHRISTINE ALBANEL : "Tout ce que permet le livre papier, et bien davantage."

Christine Albanel - Photo OLIVIER DION

CHRISTINE ALBANEL : "Tout ce que permet le livre papier, et bien davantage."

Christine Albanel, ancienne ministre de la Culture et de la Communication, et ancienne directrice de la communication d'Orange, est désormais chargée des événements, partenariats et solidarité chez Orange. Elle est également responsable de la stratégie du livre numérique. Elle fait le point sur le projet MO3T qui a reçu cet été un premier financement de 3 millions d'euros.

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Par Christine Ferrand, Hervé Hugueny
Créé le 23.10.2014 à 12h36 ,
Mis à jour le 29.10.2014 à 12h40

Livres Hebdo - Pourquoi Orange s'intéresse-t-il au livre ?

Christine Albanel - C'est le métier d'un opérateur télécom que de permettre l'accès à tous les contenus, dans les meilleures conditions possibles. De plus, en tant qu'opérateur historique, Orange se doit aussi d'avoir un rôle citoyen et sociétal, d'être impliqué dans les innovations culturelles. L'accès au livre numérique s'inscrit dans cette double mission. L'intérêt d'Orange pour le livre n'est pas nouveau. Le prix Orange du livre, qui a couronné cette année Belle famille d'Arthur Dreyfus, en est à sa 4e édition. Nous avons également créé Read & Go, un kiosque numérique qui propose titres de presse, bandes dessinées et près d'un millier de livres, lancé en novembre 2011 sur Internet et sur les tablettes Android, et maintenant disponible sur iPhone et iPad. Sans oublier des expériences transmédias : l'an dernier, le partenariat avec Alexandre Jardin, Fanfan 2, roman auquel les internautes ont pu contribuer. Cet automne, la version numérique du roman Les petites expériences de philosophie de Roger-Pol Droit, édité chez Plon, qui va être enrichi de l'expérience personnelle de blogueurs. Enfin, avec la BNF, nous allons présenter une édition numérique du Candide de Voltaire, Candide 2.0, avec notamment le manuscrit en fac-similé, ou une version audio qui pourrait déboucher sur une collection des grands fondamentaux de notre littérature.

Ce projet MO3T (Modèle ouvert 3 tiers) n'était-il pas une commande du ministère de la Culture, à la recherche d'une réponse politique à Google ?

Non, c'est une initiative privée, initiée et fédérée par Orange. C'est notre groupe qui a suscité le consortium, composé de 18 partenaires (1) - grands éditeurs, libraires, acteurs numériques, opérateurs - afin de réfléchir et de proposer un modèle alternatif de distribution du livre numérique. Nous avons eu, en effet, la volonté d'intégrer tous les acteurs de la chaîne, et notamment les libraires, qui sont une grande richesse de notre paysage culturel. Bien sûr, le ministère a été tenu informé du projet.

Quel est son objectif  ?

Il s'agit de mettre en place une autre organisation du marché que celle qui est portée par les grands acteurs américains qui, tous, enferment leurs acheteurs dans des modèles fermés. Nous souhaitons au contraire mettre en place un modèle ouvert fondé sur trois principes : l'interopérabilité, grâce à la compatibilité des fichiers ; la portabilité - on doit pouvoir passer d'un terminal à un autre - ; la pérennité. Le livre numérique qu'on achète aujourd'hui devra être disponible dans cinq ans, dix ans ou plus, y compris sur des terminaux dont on ignore encore l'existence, et rester accessible dans la durée, même si vous changez d'opérateur. Dans ce modèle ouvert, on aura un accès permanent à l'oeuvre numérique acquise qui sera stockée dans une bibliothèque personnelle située dans le "cloud".

Quel est le rôle de chacun ?

Chaque acteur dans la chaîne conserve sa fonction : l'éditeur fournit les contenus, l'agrégateur les met en forme, le libraire les prescrit et les vend. L'opérateur est un gestionnaire des flux ainsi qu'un tiers de confiance pour la sécurisation des données personnelles. Il y a déjà 7 plateformes permettant l'accès au livre numérique en France : le but n'est pas d'en rajouter une de plus, mais de les rendre interopérables.

Pourquoi avoir fait appel au Commissariat général à l'investissement (CGI) ?

C'est une garantie pour les plus petits acteurs du modèle MO3T. Si Orange avait financé le projet, nous aurions été en position d'acteur dominant. La soumission au CGI, qui contrôle l'attribution des fonds du grand emprunt, montre que ce projet est celui de tous et qu'il avance avec la caution de l'Etat. La première tranche de ce projet a été validée, et financée à hauteur de 3 millions d'euros sous forme d'avance remboursable, sur un total de 7 millions d'euros. Nous ne recevons qu'une très faible partie de cette somme, répartie entre l'ensemble des partenaires, en fonction de leur implication, de leur dimension, et de leurs besoins. Ceux d'une très grande entreprise sont moins importants que ceux d'une PME, que les investissements d'avenir doivent soutenir en priorité.

A quoi va servir ce premier financement ?

Nous préparons la constitution d'un prototype, qui sera prêt en début d'année prochaine, pour montrer que le projet peut fonctionner sur un plan marketing et technique, avec une fin de cette phase de test à l'automne 2013. Nous étudions tous les cas d'usage avec nos partenaires. Nous avons listé plus d'une centaine de questions : comment offrir un livre numérique à Noël, le prêter, le revendre ? Comment, en quelque sorte, "rematérialiser" quelque chose qui est dématérialisé ? Comment les libraires pourront-ils répondre à l'appel d'offres d'une bibliothèque souhaitant acquérir des livres numériques ? Comment animer un club, une communauté, à l'image de ce que nous avons lancé avec Lecteurs.com ? Etc. Le livre numérique doit permettre tout ce que permet le livre papier, et bien davantage encore.

Fin 2013, n'est-ce pas un peu tard, pour la fin de la phase de test ?

Malgré le sentiment d'extrême urgence que suscite toujours le numérique, les choses ne vont pas si vite. Le marché du livre numérique est passé en quelques années de 0,1 à 1 %, ce qui est encore très lent par rapport à l'évolution observée aux Etats-Unis, où la relation au livre papier est différente et où, surtout, le réseau de librairies n'a rien de comparable avec celui de la France.

Combien de personnes au total travaillent sur ce projet, et qui les coordonne ?

Dans cette phase préliminaire, Orange a affecté trois personnes, sachant que c'est Dilicom qui est le maître d'oeuvre de ces travaux, l'organisateur des réunions maintenant hebdomadaires.

Pourquoi Hachette Livre, ou Bouygues, ne figurent-ils pas dans ce consortium ?

Pour la constitution de ce consortium, il n'était pas nécessaire d'avoir tous les acteurs de la place. Le CGI ne souhaitait d'ailleurs que deux ou trois acteurs par métier. Mais notre ambition, une fois le projet pérennisé, est de rassembler le plus grand nombre. Nous tenons informés les autres acteurs nationaux de l'avancement de nos travaux.

Comment l'opérateur va-t-il se rémunérer ?

L'un des buts du prototype est de montrer comment chacun peut être rétribué, en fonction de son rôle dans la chaîne. On l'a dit, le modèle crée un nouveau rôle de gestionnaire de la bibliothèque personnelle et des droits qui y sont attachés. Tout acteur qui le souhaite pourra se positionner sur ce rôle. Orange espère pouvoir le faire, tout comme d'autres opérateurs ou des acteurs d'Internet. Les libraires, les éditeurs, qui proposent des livres numériques doivent être débarrassés des contraintes techniques dont d'autres peuvent se charger. Un libraire n'a pas à se préoccuper de l'après-vente d'une liseuse, il doit en revanche sélectionner du contenu, le connaître, le prescrire.

Ce modèle d'interopérabilité totale n'est-il pas fragile s'il reste limité à un seul pays ?

Deutsche Telecom a lancé un projet qui n'est pas très éloigné du nôtre, ce qui montre que ce modèle a vocation à s'étendre au-delà de nos frontières, y compris en Amérique du Nord. Parmi nos partenaires, il y a d'ailleurs la société canadienne De Marque, ce qui pourra nous aider à franchir ce pas. En tout état de cause, nous allons présenter MO3T dans une série de manifestations internationales à venir, avec l'ambition de poser les fondations pour un système global.

(1) Editeurs-distributeurs numériques : Eden, Editis, Flammarion, Gallimard, La Martinière-Seuil, Immatériel.fr. Libraires : librairie Dialogues, librairie Lamartine, librairie La Procure, Syndicat de la librairie française. Opérateurs : Orange, SFR. Fournisseurs de technologies : Argia, De Marque, Dilicom, ePagine, Institut Télécom, Viaccess.

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