Espion, Vladimir Poutine l'est resté, dans l'esprit, dans la violence, dans le nihilisme. Après le massacre de Boutcha en avril 2022, les centaines de corps de civils retrouvés dans la forêt d'Izioum (la ville reconquise en septembre dernier par les forces ukrainiennes) pourraient faire l'objet d'un chapitre supplémentaire à ce Livre noir dirigé par deux historiens de renom, Galia Ackerman, rédactrice en chef de Desk Russie qui lutte contre la désinformation, et Stéphane Courtois, maître d'œuvre du Livre noir du communisme (Robert Laffont, 1997) dont ce travail constitue une suite logique. Aidés par quelques grands spécialistes de la Russie, les deux experts reviennent sur les origines de l'Homo sovieticus Poutine, formé au KGB et déformé par sa vision bipolaire du monde.
Ackerman et Courtois décrivent fort bien cet abandon vers le passé qui le conduit à réécrire l'Histoire. Car du passé il ne fait pas table rase : il s'assied dessus ! Et l'on voit bien, à travers les différentes contributions, comment le processus s'active au moment où Poutine, agent dans la RDA en 1989, voit le mur de Berlin s'effondrer sous les coups de marteaux de citoyens qui réclament la liberté. « Il en conserva une peur du peuple et une haine de la démocratie qui n'allaient cesser de s'intensifier. »
Depuis son accession au pouvoir il y a vingt-deux ans, ce n'est que coups tordus, chantages, arrestations, tortures, assassinats d'opposants et de journalistes. Dans cette « fuite en avant vers le passé » pour reprendre la formule de Galia Ackerman et Stéphane Courtois, il est aidé par sa garde rapprochée d'idéologues, les oligarques qui lui doivent tout et qu'il tient par les roubles, la religion orthodoxe qui lui sert de courroie de transmission auprès de la population avec des patriarches mafieux comme Kirill, et des idiots utiles qui relaient sa propagande en Occident.
Rien n'est oublié dans cette militarisation des consciences et la préparation à la guerre, notamment le langage et l'utilisation de l'argot avec cette vulgarité où se mêlent outrance et muflerie. Nicolas Tenzer explique avec justesse ce « front du crime contre la liberté et les droits ». Avec Poutine, la Russie est passée de super puissance à super nuisance. Faire peur, détruire, exterminer semblent être les dernières options de ce « soviétisme sans idée communiste ». En devenant tsar, l'ex-agent secret s'appuie sur les deux piliers de son régime : les services spéciaux et la pègre. Et c'est ainsi, selon Françoise Thom, que « le pouvoir russe est devenu un tueur en série ».
Ce livre noir, vraiment très noir, ne manquera pas de susciter une grande question : comment en sortir ? Le savoir est certes la première arme de destruction massive contre l'ignorance, mais encore faut-il faire savoir à ceux qui ne veulent pas entendre. Cet ouvrage a le mérite de la clarté, celle des chiffres et des faits. Il remet les pièces du puzzle de l'actualité à leur place pour donner de l'ensemble un tableau glaçant de Poutine et de son régime, ceux qui l'entourent, le conseillent et se protègent derrière lui. Et on ne peut qu'espérer que ce nouveau Livre noir, comme le précédent, fasse le même chemin dans les consciences.
Le livre noir de Vladimir Poutine
Perrin/Robert Laffont
Tirage: 10 000 ex.
Prix: 25 € ; 464 p.
ISBN: 9782221265383