Voilà un an et demi que la loi relative aux bibliothèques et au développement de la lecture publique a été promulguée et est testée par les bibliothécaires. Mais le passage des principes à la réalité est loin d’être simple, notamment en ce qui concerne la politique documentaire. C’est le thème du 68e Congrès de l’ABF, l’occasion pour les bibliothécaires d’entendre les pistes de lecture et réflexions de Dominique Lahary.
Les missions avant les collections
Utile de le rappeler : les collections ne sont pas une fin en soi. Elles ne sont qu’un moyen des bibliothèques pour assurer leurs missions : garantir l’égal à accès de tous à la culture, à l’information, à l’éducation, à la recherche, aux savoirs et aux loisirs, ainsi que de favoriser le développement de la lecture.
Et les livres ne sont qu’un moyen parmi d’autres : les collections sont constituées « de livres et des autres documents et objets nécessaires à l'accomplissement de leurs missions », dit la loi. Ce qui peut se lire comme la légitimation du prêt d’instruments de musique, par exemple…
Oui, il faut désherber !
Parfois difficile, pour le contribuable et les élus, de voir que leur bibliothèque se sépare de milliers de livres et dépense des milliers d’euros pour en acheter d’autres. Mais c’est ce que demande la loi : des collections « régulièrement renouvelées et actualisées ». « La collection n’est pas un stock, c’est un flux », abrège Dominique Lahary.
Neutralité signifie prise de position
La neutralité dans la fonction publique veut dire que le bibliothécaire doit traiter de manière égale chaque usager, ne pas exposer ses opinions personnelles, et proposer une offre plurielle, foisonnante. Une collection neutre doit être capable de déplaire (à tous, bibliothécaire compris), de relayer des opinions qui s’opposent, de contenir des supports de “mauvais genre” (vous aviez dit manga ?). C’est le prix de l’émancipation.
Mais quelle est la limite du pluralisme ? Une bibliothécaire témoigne de l’hésitation avec ses collègues quand ils réfléchissaient à acquérir un document qui leur paraissait véhiculer des idées mensongères, mais était très demandé par leurs lecteurs. « On doit avoir des contenus qu’on n’aime pas », avance Dominique Lahary. Et si la bibliothèque refuse tel document, elle doit être capable de le justifier. « Le choix n’est pas une censure s’il repose sur des principes publics », reformule le conférencier. « C’est un exercice complexe », soulignait la bibliothécaire Nathalie Morice dans un entretien faisant le point sur toutes ces questions.
Et quand on manque d’argent ?
Mais comment représenter la diversité des opinions quand le budget est contraint ? Le prêt entre bibliothèques permet d’étoffer l’offre, mais ce n’est pas suffisant… Le bibliothécaire est tributaire de ses élus. Et de l’offre éditoriale récente, qui peut manquer de diversité, regrettent des bibliothécaires. Ce que nous relayions dans un précédent article sur le documentaire en bibliothèque. « On est prisonniers de ce qui est produit », résume Dominique Lahary.
Faut-il l’adoubement de ses élus ?
Les bibliothèques doivent présenter seulement les orientations générales de leur politique documentaire aux élus. Et cette présentation peut être soumise à leur vote. Ce dialogue entre bibliothécaires et élus se veut bénéfique, car elle conforte l’autorité des bibliothécaires face à d’éventuelles pressions des usagers — un phénomène récurrent mais non massif, selon l’ABF.