Graphisme

Couvertures : les tendances de l’automne 2015

Une des nouvelles couvertures des romans de la rentrée Plon (Nos âmes seules de Luc Blanvillain). - Photo Olivier Dion

Couvertures : les tendances de l’automne 2015

Typographies travaillées, couleurs éclatantes et photos pleine page caractérisent une bonne part des couvertures de la rentrée. Sous influence anglo-saxonne, elles cohabitent avec les visuels sobres et intemporels des grandes maisons littéraires.

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Par Emmanuelle Bour
Créé le 04.09.2015 à 02h03 ,
Mis à jour le 04.09.2015 à 11h14

Du fluo au blanc sobre, de la photographie pleine page au vide dépouillé, de la police originale au Times New Roman classique, cette rentrée littéraire offre dans les libraires une diversité visuelle qui divise l’édition en deux camps : les modernes et les traditionnels. Quand des maisons comme Gallimard, Grasset, Seuil, P.O.L ou Minuit restent fidèles aux lignes classiques qui sont leur marque de fabrique depuis parfois plusieurs générations, d’autres se lancent dans des couvertures plus graphiques. Et pour la collection d’automne 2015, les trois indispensables sont la typographie, les couleurs vives et, en pleine page, une photographie ou des motifs répétés.

"Un gros travail a été réalisé par un peu toutes les maisons sur la typographie des couvertures, analyse Rémi Pépin, graphiste indépendant à l’origine des nouvelles chartes graphiques d’Inculte et du Serpent à plumes. La typo de 2015 est puissante, elle explose en grand format", constate-t-il. Cette typographie "forte" l’est aussi quand elle est fine et épurée, comme celle choisie par Quintin Leeds lors de son travail sur la charte de L’Iconoclaste, qui fait sa première rentrée littéraire (1). "J’ai opté pour cette typographie à rayures qui date des années 1920 : paradoxalement, elle est très rétro, mais complètement moderne", explique-t-il. Pour mettre en valeur le tracé particulier des lettres, L’Iconoclaste a fait le choix de la couleur orange, qui peut être complétée, selon les titres, d’un vernis sélectif pour faire ressortir la typographie. A l’occasion de la refonte totale de la maquette en littérature chez Plon, Lisa Liautaud, éditrice pour le domaine français, qui a œuvré avec Véronique Podevin, directrice artistique de la maison, a choisi la police Elle Gabor Light, créée par le designer Peter Gabor et utilisée dans le magazine Elle. Cet alphabet "tout en verticalité et en finesse" donne un résultat "puissant", d’autant plus quand il est associé à une couleur fluorescente, comme le vert flashy issu du Pantone Fluo n° 802C comme pour la couverture de Courir après les ombres, le roman de Sigolène Vinson.

La couleur pour se démarquer

C’est l’autre tendance graphique de cette rentrée littéraire : la couleur éclatante, pour se démarquer. Dominique Bordes, fondateur de Monsieur Toussaint Louverture, avoue cette année se tourner vers les dorés, là où David Pearson, graphiste officiel de Penguin Books outre-Manche et de Zulma en France, dit avoir préféré des nuances argentées ou métalliques pour sa production de cet automne avec la maison française. La couleur dominante d’une couverture peut ainsi se décliner pour créer un jeu sur le livre. "Le livre devient un véritable objet", se réjouit Dominique Bordes. Selon Rémi Pépin, la tranche et le dos sont également des éléments non négligeables du travail graphique actuel. Un constat partagé par Quintin Leeds, qui reprend sur le dos et sur les rabats des titres de L’Iconoclaste les rayures de la typographie de la nouvelle charte, en orange. La même couleur se décline aussi en fluo sur les productions de Serge Safran.

Onirique et minimaliste

"La difficulté de l’élaboration de ces couvertures avec une typographie forte repose sur la cohérence du rapport entre texte et image, surtout dans le cas d’une photographie pleine page", précise Rémi Pépin. Pour Inculte, tout comme chez Plon ou à L’Iconoclaste, la couverture propose une photographie d’un paysage ou d’un visage, étalée sur tout l’espace disponible, avec un rendu mat (en pelliculé Soft Touch pour Plon, par exemple). Ce procédé permet "une meilleure évocation de l’imaginaire du roman concerné", explique Lisa Liautaud. Sophie de Sivry, directrice de L’Iconoclaste, renchérit : "La photographie pleine page permet de rester dans l’onirique tout en offrant une couverture visuelle et minimaliste."

Une nouvelle charte graphique est généralement associée à un tournant éditorial : les changements dans la maquette d’une collection reflètent le positionnement littéraire d’un éditeur. Ce fut le cas en 2006 pour Zulma : "Il y a un avant et un après notre renouveau graphique", assure la directrice, Laure Leroy. Elle estime son chiffre d’affaires d’avant 2006 à 1,5 million d’euros, celui d’aujourd’hui à presque 3 millions "avec moitié moins de publications". En laissant le champ libre au graphisme imaginé par David Pearson, Laure Leroy a fait le choix d’effacer le nom de la maison de la couverture pour le remplacer par un "Z" minimaliste. "Zulma n’a jamais été aussi connue depuis que son nom a disparu des couvertures", plaisante-t-elle.

"Le but est de créer l’identité d’une maison, pas juste de faire un changement d’emballage", rappelle Lisa Liautaud, arrivée chez Plon en juillet 2014 pour superviser ce "chantier". "Construire une charte graphique, c’est faire en sorte que, lorsqu’on place deux livres d’une même maison côte à côte, on identifie immédiatement l’éditeur", résume Quintin Leeds. Quant à Dominique Bordes, s’il considère que "l’aspect visuel d’un livre doit pouvoir déclencher une pulsion d’achat", il met en garde contre l’excès inverse : "Si la couverture trop graphique prend la place du texte, le lecteur n’identifie plus le livre comme étant de la littérature, mais comme de la poésie ou de la jeunesse", prévient-il.

Le modèle anglo-saxon

Les tendances graphiques de la rentrée littéraire 2015 s’inspirent pour beaucoup du modèle anglo-saxon, comme l’assume Lisa Liautaud, qui reconnaît avoir pris pour modèle l’édition originale de Scribner pour Toute la lumière que nous ne pouvons voir de l’Américain Anthony Doerr, prix Pulitzer 2015. Rémi Pépin abonde dans le même sens en se réjouissant que "les couvertures françaises s’inspirent des tendances anglo-saxonnes depuis quelques années". Une vogue que regrette paradoxalement l’Anglais David Pearson : "Le marché anglais de la littérature se rapproche de plus en plus de l’américain et devient plus agressif, plus vulgaire, alors qu’en France, les livres de littérature sont beaucoup plus élégants, sophistiqués. Cette différence vient sans doute du rapport que les Français entretiennent avec la littérature", estime-t-il.

Le choix d’une identité graphique qui saute aux yeux est toutefois surtout celui des maisons à la production moins soutenue. Les éditeurs bien ancrés dans le domaine littéraire restent identifiés et identifiables à leurs couvertures plus sobres, intemporelles. "La spécificité du paysage littéraire français reste sans doute que classicisme et graphisme moderne peuvent cohabiter", conclut Rémi Pépin.

(1) Voir LH 1051 du 28.8.2015, p. 32.

Typo, fluo et couverture plein pot

 

Les "trois indispensables" de la couverture 2015 illustrés par Nos âmes seules de Luc Blanvillain, que nous explique Véronique Podevin, directrice artistique de Plon.

 

Photo PHOTOS OLIVIER DION

"Nous avons fait le choix des couleurs fluo qui donnent une dynamique moderne. Peu d’autres maisons l’ont fait, ce qui nous permet une meilleure identification. Pour le dos du livre, nous avons ajouté deux bandes blanches sur toute la hauteur pour rendre le fluo encore plus intense, et pour contrebalancer l’image pleine page de la couverture. Les rabats, qui offrent un rapport concret à l’objet livre, font bien éclater la couleur lorsqu’ils sont dépliés."

"Cet alphabet créé par Peter Gabor et notamment utilisé par le magazine Elle nous est apparu très moderne, à la fois vertical et rond. Nous voulions une typographie fine, mais elles sont bien souvent trop froides, un peu militaires. Le côté rond de cette police offre de la simplicité et de la souplesse. Nous avons un temps pensé à la doubler d’un vernis sélectif pour faire ressortir le titre, mais trop d’effet tue l’effet ! Le titre et la typographie ressortent tout à fait bien avec le fluo."

"Nous avons repensé le format de la littérature française tout en hauteur, ce qui permet un rendu plus épuré. L’idée est de laisser parler l’image d’atmosphère qui doit être plus évocatrice que narrative pour ne pas trop guider le lecteur.

Le rendu avec le pelliculé Soft Touch donne un effet contrasté, encore plus visible avec le fluo du dos. Le touché "velours" évite les traces de doigts à la prise en main. Nous avons sélectionné cette photo dans une des banques d’images avec lesquelles nous travaillons."

D’autres exemples

Rémi Pépin, à l’origine de la nouvelle maquette d’Inculte, s’est attaché à équilibrer le rapport entre la typographie forte et l’image pleine page. La police grand format a dû être envisagée de manière à ne pas prendre le pas sur la photographie pleine page, puissante. L’orange règne ici aussi.


 

L’Iconoclaste a fait appel à Quintin Leeds qui a choisi une typographie à rayures des années 1920, dont le motif est repris sur le dos et sur les rabats. La photographie pleine page a été choisie pour une entrée intuitive dans l’univers du récit : un portrait resserré sur un personnage majestueux.

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