Pierre Assouline, en bas à doite, lors de la remise du Goncourt 2012 à Jérôme Ferrari. - Photo O. Dion
Dans les archives du Goncourt
Jusqu’au 31 août, Pierre Assouline raconte cent dix ans d’histoire du Goncourt dans une série estivale sur France Culture, qui se prolongera le 17 octobre avec Du côté de chez Drouant: cent dix ans de vie littéraire chez les Goncourt, un livre coédité par Gallimard et la station. Il nous raconte son enquête.
Par
Marie-Christine Imbault
avec Créé le
14.10.2013
à 21h55, Mis à jour le 03.04.2014 à 17h10
Livres Hebdo - La publication de votre livre coïncide avec les 110 ans du Goncourt. C’est un anniversaire important ?
Pierre Assouline - En 2014, nous fêterons aussi les cent ans d’installation de l’académie chez Drouant, mais ce n’est pas la raison essentielle. Depuis des années, je présente une grande série sur France Culture, et Olivier Poivre d’Arvor souhaitait cette fois une histoire de la littérature, avec un budget et un temps d’antenne réduit de six heures. C’est un sujet beaucoup trop large, et sans doute parce que j’y suis élu, j’ai eu cette idée de l’académie Goncourt. La parution du livre est quasi immédiate, selon l’ambition d’Olivier de profiter de l’effet de l’émission.
C’est néanmoins bien toute la vie littéraire de plus d’un siècle que vous parvenez à raconter.
Tout depuis la création du prix Goncourt, que ce soit polémique, débat ou discussion, y est rapporté. Drouant est l’antichambre du monde des lettres, la caisse de résonance de la vie littéraire française. Les académiciens déjeunent ensemble tous les mois, ils font forcément écho à la vie littéraire dans leurs débats.
Etre académicien Goncourt vous a-t-il donné accès à des documents confidentiels ?
J’ai bien sûr obtenu l’accord du jury, mais c’est d’abord une émission de radio. Si j’avais voulu faire un livre, le ton aurait été différent et il m’aurait fallu deux ans d’enquête. Comme sources, j’ai utilisé les articles de presse, les deux ou trois livres sur le Goncourt, toutes les biographies des lauréats et de ceux qui ont failli l’avoir, comme Marguerite Yourcenar, et mes différentes enquêtes menées depuis trente ans, notamment pour Lire. Mais les plus importantes étaient les archives municipales de Nancy, qui réunissent tous les procès-verbaux, établis par le secrétaire général du jury, le rapport moral annuel du président, les délibérations, les correspondances et le journal d’Armand Lanoux, inédit. Toutes ces sources m’ont permis de raconter comme une chronique l’histoire de ce prix, le livre étant une édition augmentée par rapport à la série, puisque j’y ai ajouté des documents de référence et des commentaires. C’est plus facile lorsque l’on est juré, mais il y a plus de vingt ans, lorsque le fonctionnement du Goncourt était souvent soupçonné de magouilles, Hervé Bazin m’avait déjà autorisé à consulter les archives.
Avez-vous eu de mauvaises surprises, des déceptions ?
Ce qui me frappe, c’est que le Goncourt est toujours jugé globalement, sans tenir compte des époques différentes, au cours desquelles il défendait plus ou moins bien son indépendance. Durant l’Occupation, l’académie était assez médiocre, il ne se passait pas grand-chose, mais pour moi, les époques les pires sont les années 1950-1960 avec la domination de Gallimard, et 1980-1990 avec celle de Grasset. On voit nettement qu’il y a eu des périodes de forte influence, mais ce n’est vraiment plus possible depuis dix ans.
Qu’est-ce qui a changé la donne selon vous ?
La réforme des statuts et du règlement intérieur à l’initiative de Françoise Chandernargor et Bernard Pivot, interdisant notamment d’être salarié d’une maison d’édition, a été décisive. Il y a eu une époque où cinq jurés sur dix l’étaient, comme Raymond Queneau, Daniel Boulanger et François Nourissier, qui a néanmoins démissionné lorsqu’il est devenu président. L’honorariat à partir de 80 ans, sur une proposition de Jorge Semprun, contribue aussi au changement. Désormais, nous sommes certes liés à des éditeurs par nos livres, mais nous pouvons changer d’éditeur. Le jury est devenu très autonome, indépendant comme jamais dans son histoire. On s’intéresse au livre, à l’auteur ensuite, mais l’éditeur n’existe pas. Le point commun est qu’il s’agit d’une bande de copains qui se retrouvent tous les mois pour déjeuner, boire, se raconter des histoires et parler de livres. On bosse et on s’envoie des rapports. Avec une différence toutefois : cela se fait davantage par téléphone ou par courriel, il y aura donc moins de traces dans les archives. <
La série est également pubiée le dimanche dans le JDD.
Pour le meilleur et pour le prix
Dans La littérature à quel(s) prix?, à paraître le 29 août à La Découverte, Sylvie Ducas analyse en détail l’histoire et le fonctionnement des prix littéraires. Un prisme pour une investigation sur l’évolution de la vie littéraire.
Sylvie Ducas.- Photo 1001 LIBRAIRIES
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Le 6 septembre, l’académie Goncourt donnera le coup d’envoi de la nouvelle saison des prix d’automne (voir calendrier ci-contre). Que chercheront-ils à récompenser, ces Femina, Médicis ou autres Wepler qui, chaque année, collent un bandeau rouge griffé de leur nom sur une petite vingtaine d’ouvrages ? Dans Lalittérature à quel(s) prix?, fruit de plus de dix ans d’enquête, Sylvie Ducas revient sur les fondements de ces diverses institutions. Elle rappelle qu’Edmond de Goncourt, par voie testamentaire, peaufinait «les actes d’unemise en scène auctoriale où l’écrivain, vécu comme “fantasme?, est une statue àconstruire, un monument à édifier, un buste funéraire laissé à la postérité…», tout en assurant, par le rappel de leur nom chaque année dans la presse, «l’immortalité littéraire» des deux frères Goncourt. L’eau, depuis, a coulé sous les ponts. Victime de la phobie du journalisme de son fondateur qui «craignait de voir “l’industrie deslettres? sonner leglas de “la pure littérature?», l’académie Goncourt avait pour but premier, rappelle Sylvie Ducas en en soulignant le paradoxe, «d’atténuer les effets négatifs de l’économie de marché», alors qu’aujourd’hui, poursuit-elle, «elle assoit son pouvoir symbolique sur sa capacité à investir ce même marché, notamment par des tirages considérables que son prix implique». C’est bien l’une des déviances de tous ces prix qui, au fil du siècle dernier, ont eu à affronter les corruptions d’éditeurs, les pouvoirs des médias, les jurys d’amateurs, pour néanmoins s’imposer avec leur protocole auquel l’écrivain couronné ne comprend pas forcément grand-chose, tant sont en jeu les affinités, le marché, les expertises et tout simplement les mutations des pratiques culturelles et le déclin de la lecture.
Pour le jury Femina, prénommé Vie heureuse jusqu’en 1919, «la chasse auchef-d’œuvre n’existe pas. On lui préfère l’encouragement littéraire, défendu comme unprincipe fondateur jusqu’en 1913», écrit Sylvie Ducas, qui rappelle que la revue Vie heureuse a été créée par Louis Hachette, «soucieux d’investir le marché de la presse féminine, tandis qu’il diffuse et rend populaire le roman de gare». Le Femina inaugure le mécénat d’éditeur en même temps qu’il ouvre le champ aux médias, tandis que les éditeurs cherchent de nouvelles manières de vendre du livre.
Contestation médiatique.
Le journalisme explique d’ailleurs en partie «l’inflation des prix littéraires», analyse encore l’universitaire, en rappelant l’objectif du Renaudot, créé en 1926, ou quatre ans plus tard l’Interallié, d’abord conçu comme un canular : «Dans les années 1960-1970, lacontestation médiatique se fait plus virulente, journaux et stations radiophoniques s’érigeant massivement ennouveaux producteurs de lavaleur littéraire. Avec eux s’effondre lacroyance selon laquelle les écrivains seraient les plus qualifiés pour légiférer dans ledomaine denouveaux talents littéraires». L’auteure pousse l’analyse jusqu’au grand prix des Lectrices de Elle et au prix du Livre Inter, avec «le constat rassurant d’une répartition équitable des lauriers littéraires entre petits etgros éditeurs», non sans rappeler que les maisons de taille modeste sont dépendantes de gros groupes pour la diffusion ou la distribution : «Lesdistributeurs restent les véritables maîtres du jeu et les grands gagnants des prix littéraires.» Néanmoins, conclut-elle, ces derniers gardent «leur effet structurant dans le champ littéraire et éditorial» et restent «desaccélérateurs de particules» (selon l’expression de Tanguy Viel), même s’il faut toutefois s’interroger sur la façon d’en refaire des machines de guerre de l’écrivain. < M.-C. I.
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Par
Élodie Carreira
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