De façon unanime, la presse et les professionnels du livre se réjouissent de la décision politique (elle aussi unanime) des mesures prises contre Amazon. Mais l’analyse économique ne doit pas occulter la dimension sociologique de la situation.
Il est juste de chercher à mettre un terme à ce « dévoiement » de la loi Lang. Il faut saluer cette initiative qui vise à contrecarrer une stratégie dont le but consiste à étouffer les concurrents de façon à créer une sorte de monopole. Mais toutes ces mesures reposent sur l’hypothèse selon laquelle le succès d’Amazon tient à son avantage coût en cumulant les 5% de remise et la gratuité des frais de port. Bien sûr l’acheteur de livres est un consommateur et fait le choix d’acheter à distance d’autant plus que cela ne lui entraine pas de coût supplémentaire. Mais cet argument n’est pas le seul ni suffisant. Il est fort à parier que la fin des 5% de remise voire même le passage à la facturation des frais de port ne suffiront pas à inverser la tendance.
D’après les chiffres de Livres-Hebdo, actuellement la tendance annuelle est à la baisse dans tous les points de vente et seule la vente à distance progresse sensiblement (+6,5%). Même si on peut le regretter, la vente de livres n’échappe pas à un processus de basculement du commerce physique vers le commerce en ligne. Une partie de nos contemporains apprécient la possibilité de procéder à des achats au moment qu’ils souhaitent (y compris la nuit) en fonction de leur emploi du temps et de leurs envies (y compris soudaines). Ils apprécient la souplesse et finalement le fait qu’ils sont placés en position de maîtriser toutes les dimensions de leur achat (choix du moment, du lieu de livraison, d’un document parmi un nombre très large).
Par ces pratiques, le consommateur fait l’expérience et affirme son autonomie, sa capacité à se construire un monde à lui. Il accède ainsi à une sorte d’idéal de lui-même que lui dicte notre société. Il est hautement probable qu’il soit prêt à dépenser y compris un peu plus pour conserver le confort que lui procure ce mode d’achat. Il est urgent de lire le récent travail de Vincent Chabault (
Librairies en ligne) pour découvrir justement que ce public est favorisé (économiquement, socialement, culturellement) et qu’il a donc les moyens de supporter un surcoût ce qui ne l’empêche pas de se rendre dans les librairies.
Donc si l’intervention législative était nécessaire, elle ne saurait suffire. La librairie indépendante, comme lieu, conserve ses atouts et son attrait mais elle doit rivaliser sur les délais de livraison et désormais se compléter d’une offre à distance. Il faut concurrencer Amazon sur son terrain car il est le signe d’une attente particulière aux clients d’aujourd’hui. En juillet 2011, une publicité avait fleuri dans quelques magazines où on voyait une jeune femme dans une librairie regardant le lecteur et une phrase en gras barrant la photo : «
Qui m’aidera à faire le bon choix si mon libraire n’est plus là ? ». Cette campagne était par trop défensive et ne reposait pas sur les pratiques réelles des clients mais sur leur vision idéale. A cette époque se jouait l’avenir du défunt 1001libraires.com et il eut été plus judicieux de promouvoir cette initiative. Défendre la librairie indépendante doit aussi passer par le soutien des initiatives (
http://www.leslibraires.fr/) qui reposent sur une analyse riche du point de vue des lecteurs…