En 1967, le Parlement britannique se prononce en faveur de la dépénalisation de l’homosexualité. Dans le pays où l’auteur du Portrait de Dorian Gray fut condamné aux travaux forcés pour sodomie, les "amitiés particulières" se faisaient discrètes même dans les œuvres de fiction. Pas de gidiennes confessions d’Immoraliste ni d’épisode façon baron de Charlus et Jupien dans A la recherche du temps perdu… Maurice de E. M. Forster, qui parle explicitement d’amour entre hommes, parut de manière posthume. L’auteur de La piscine-bibliothèque n’a quant à lui pas cessé de mettre en scène des personnages homosexuels. Mais c’est en 2004 qu’il sort véritablement du rayonnage LGBT de la librairie en se voyant décerner le prestigieux Man Booker Prize pour La ligne de beauté (Fayard, 2005). Alan Hollinghurst est un auteur gay. Mais pas que. Il est reconnu comme l’un des plus grands stylistes de langue anglaise. Aussi, bien plus que l’attrait de la mâle beauté, l’auteur de L’enfant de l’étranger (Albin Michel, 2013) partage avec Proust cette manière ample de tailler des histoires dans l’étoffe du temps, mêlant ses intrigues amoureuses à l’Histoire.
Tout commence, dans L’affaire Sparsholt (même éditeur), le nouveau roman de Hollinghurst, à l’université d’Oxford pendant la guerre, loin des bombardements allemands. David Sparsholt fait l’objet de tous les fantasmes. Un groupe d’étudiants, réunis en club de lecture, pour la plupart invertis, l’observe faire sa gymnastique quasi nu dans l’appartement d’en face. L’un d’entre eux, Evert Dax, fils d’un romancier de renom, se lie d’amitié avec le bel athlète faute de plus. Jouant de son physique avenant, Sparsholt avance par tous les moyens pour réussir en affaires, il épouse sa fiancée Connie et aura un fils: Johnny. C’est à ce garçon qu’est passé le témoin narratif. Avec Johnny, se rejouent les affres de la non-réciprocité. On le suit encore dans l’exploration des premiers bars gays licites de la capitale, on le retrouve enfin, homme mûr, devenu portraitiste célèbre, dans le Londres contemporain des applis de rencontre et des familles homoparentales.
Le titre même est trompeur. Comme tout bon auteur, Hollinghurst est duplice. Lire plus que ce qu’on lit. L’énigme n’est pas celle qu’on croit. L’affaire elle-même, un scandale impliquant l’éponyme protagoniste et d’autres - une vague partie fine avec un gigolo -, demeure assez floue. L’idée étant de prendre comme point de départ un de ces scandales aux relents de pouvoir corrompu et de sexe interdit qui firent les choux gras de la presse britannique, telles les affaires Profumo ou Thorpe, afin de creuser l’insondable mystère d’un être. Libido et ambition étaient les thèmes déclinés magistralement dans La ligne de beauté, le grand roman sur les années Thatcher. Dans L’affaire Sparsholt, Hollinghurst instillerait presque le regret d’une époque pleine d’interdits - atmosphère de secret, entre chien et loup, "l’ombre environnante de brefs moments d’intimité disloqués dans un brouillage des frontières entre une personne et l’autre". Le secret, mère de toutes les fictions.
Sean J. Rose