"La vie allait reprendre ses droits après la solitude des aéroports, toutes ces heures sans attache, dans les airs, passées à lire les scénarios des autres, à analyser par le menu les rêves insignifiants que son génie aurait ensuite pour tâche de vendre au pays endormi."
Pour lui, la nuit ne sera plus jamais tendre. 1937, la fête est bien finie pour Scott Fitzgerald. Zelda, la "southern beauty", la fille du juge Sayre de l’Alabama, de maison de repos en retour chez sa mère, semble égarée à jamais sur les chemins de sa folie. Sa fille, Scottie, est loin aussi, en pension. Les amis des heures glorieuses fuient le fumet entêtant de l’échec qui s’attache à ses pas. Il lui reste l’alcool, l’écriture parfois et des souvenirs qu’il préférerait oublier. Qui se souvient de lui ? Hollywood, pension de famille dysfonctionnelle et providence des gloires littéraires passées. La MGM l’y appelle, se payant moins un scénariste à relativement peu de frais qu’un nom à ajouter à son tableau de chasse. Là, Fitzgerald retrouvera quelques vieux amis, Dottie Parker ou Robert Benchley, ses démons familiers, la bouteille, la solitude, l’autodépréciation, et entamera une liaison, la dernière, avec une "échotière" anglaise, Sheilah Graham. Ce seront les dernières années de sa vie en même temps que l’ultime chapitre de sa légende à venir.
C’est parce que légende il y a que le projet romanesque de Stewart O’Nan dans Derniers feux sur Sunset est aussi audacieux. Comment échapper au récit édifiant ? Le seul à s’y être essayé avec un vrai succès jusqu’alors fut Budd Schulberg dans l’admirable Désenchanté (Robert Laffont, 1991). Fitzgerald est plus une icône qu’un personnage de roman. La grande réussite de Stewart O’Nan est justement de s’y confronter très directement avec les armes (lyrisme sourd, capacité d’incarnation) qui sont celles du romancier puissant qu’il est. Au fond, c’est moins de Scott, brûlé au feu de son génie, dont il est ici question, que d’alcoolisme, du cauchemar magnifique qu’est Hollywood. De la nuit, de la poussière. O. M.