Des milliers de livres jetés à Nice : la véritable histoire de la librairie Sydney Laurent
La Grande Librairie Sydney Laurent avait ouvert en grande pompe début 2022 à Saint-Laurent-du-Var (Alpes maritimes) avant de faire faillite dès 2023. De mauvais augures pour le marché du livre ? Rien n’est moins sûr. Retour sur une enseigne singulière qui se payait de mots.
Par
Antoine Ginésy Créé le
08.04.2024
à 22h00, Mis à jour le 29.04.2024 à 09h36
En février dernier, la Grande Librairie Sydney Laurent trahissait un faux secret des entrepôts : le pilon. Suscitant l’indignation des riverains, le propriétaire des murs jetait des milliers d’ouvrages à la benne pour libérer les lieux.
Il faut dire que le sens de la publicité n’a jamais manqué à l’entreprise. Avant son ouverture, les habitants des environs ont vu fleurir sa réclame : les promotions étaient d’autant plus alléchantes qu’elles sont inhabituelles dans le secteur. Le Syndicat de la librairie française (SLF) avait d'ailleurs notifié à cette entreprise son infraction à la loi Lang. Décidément atypique, la librairie arborait sur sa devanture les couleurs de la Fnac et d’Amazon. Dans les rayons : pas de bestsellers ni de classiques – les tables réservaient la part belle aux ouvrages d’alchimie. Et comme rien ne se perd, la quasi-totalité des titres provenaient des éditions… Sydney Laurent.
« Des couvertures en 3D avec dorures à l’or fin »
Aujourd’hui en liquidation judiciaire, l’éditeur – comme ses émules, 7 écrit et Saint Honoré – demeure fameux pour des procédés contestables. La Société des gens de lettre (SGDL) explique à Livres Hebdo avoir été saisie à maintes reprises, listant des accusations allant du « dol et abus de confiance » à la « violation du droit moral ». Un collectif d'auteurs s’est d’ailleurs constitué derrière un avocat.
Le fondateur de la maison, Jean-Marc Fauré, alias Marc-Henry Solange, n’est du reste pas inconnu des tribunaux. En 1995, il avait écopé d’une peine de prison pour une affaire d’escroquerie aux franchisés (les magasins de mode « Un bruit qui court »), à l’origine de la chute d’une grande banque monégasque.
Une vidéo promotionnelle révèle la signature d’une maison d’édition qui accueillait moins les plumes que les égos. Sa ligne ? « Des couvertures en 3D avec dorures à l’or fin ». « Un privilège réservé auparavant aux grands auteurs », ajoute coquettement la voix off. Là où les éditeurs traditionnels font appel aux prosaïques compétences des correcteurs, la publicité fait miroiter une relecture par un mystérieux « biographe agréé ». Qualification dont l’équivoque recèle bien des promesses de réparation pour l’orgueil d’écrivains blessés par l’indifférence jusque-là opposée à leurs manuscrits.
Certains d’entre eux estiment maintenant avoir déboursé des sommes considérables pour une promotion anecdotique. Les amateurs d’Umberto Eco auront peut-être reconnu la formule lucrative de la vanity pressénoncée cyniquement par un éditeur dans le roman Le Pendule de Foucault : « l’important, c'est que les auteurs ne nous trahissent pas, sans lecteurs, on peut survivre. »
Personnage haut en couleur
Mais Jean-Marc Fauré emprunte aussi au roman picaresque : un temps dans le milieu de la mode, plus tard dans celui des castings… il a finalement su s’inventer éditeur, signant au passage quelques livres sous le nom de Solange. Alors libraire, pourquoi pas ? Laurent Parez, responsable de la Librairie du Cap – inaugurée peu de temps après la fermeture de Sydney Laurent – se souvient bien de sa rencontre avec ce « personnage haut en couleur ». D’abord inquiet de voir se déclarer un concurrent qui promettait d’ouvrir, à deux pas de la sienne, « la plus grande librairie de France », il est resté interdit devant un tel bagou. « M. Solange prétendait par exemple emménager, comme nous, à l’intérieur de Cap 3000 ; ses locaux étaient en fait situés en face du centre commercial », relate M. Parez. Le libraire a finalement réalisé que son interlocuteur ignorait les bases du métier quand celui-ci s’est enquis de l’identité de ses fournisseurs…
Établissement généraliste, La Librairie du Cap collabore naturellement avec l’ensemble des distributeurs. Cette « librairie populaire de qualité » cherche désormais à s’implanter durablement en poursuivant les recrutements et en multipliant les évènements – comme son récent partenariat avec Glénat. Laurent Parez insiste sur la vigueur et la complémentarité des librairies de la région. Pour lui, « si Sydney Laurent a fermé ses portes, c’est peut-être que l’enseigne ne méritait pas d’exister ».
M. Solange nous a indiqué ne pas souhaiter s’étendre davantage sur une affaire en cours, mais nous précise avoir engagé une procédure judiciaire pour détournement d’actifs suite à la mise au rebut des livres par son ancien propriétaire.
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