3 octobre > roman Royaume-Uni > Jonathan Coe

On a tous un numéro porte-bonheur. Certains le cochent, toutes les semaines, sur une grille de loto. D’autres, comme Jonathan Coe, en font un roman. "Les gens sont bizarres, très bizarres", clame l’un de ses personnages. Surtout "la Folle à l’oiseau" qui ne cesse d’intriguer Rachel et sa copine, Alison. Les fillettes éprouvent un mélange de fascination et de répulsion à l’égard de la dame, habitant la demeure 11. Recouverte de piercings et de tatouages, elle élève un faucon. On croirait un personnage d’heroic fantasy, mais les apparences sont trompeuses. Cette personnalité atypique donne un coup de main aux réfugiés laissés por compte.

Une leçon importante pour le duo de gamines, qu’on voit grandir au fil des pages. Elles ont des rêves et des préjugés plein la tête. Il est vrai qu’Alison est empêtrée dans une situation familiale compliquée. Bibliothécaire, sa mère rêve de devenir une star, mais elle est condamnée à la dévalorisation de son métier. Seul le bus 11 lui offre un semblant de réconfort. Ces héroïnes auraient tort de ne pas aspirer à une vie meilleure, mais elles sont piègées par un miroir aux alouettes.

Dans ce roman déconcertant, Coe renoue avec la critique d’une société peu encline à l’empathie. Il a mis en exergue une phrase de Tony Blair : "Dans une autre partie du monde, il y a de l’ombre et des ténèbres." Inutile d’aller si loin, elles sont aussi présentes dans son pays et en chacun de nous. L’auteur les pointait déjà, dans son Testament à l’anglaise, reflétant avec ironie l’ère Thatcher.

Tout comme Salman Rushdie, Jonathan Coe tisse ici une fable politique qui dénonce en vrac, le trafic d’êtres humains, la main-d’œuvre bon marché, le racisme, les guerres, le djihadisme, la crise, l’appauvrissement de l’éducation nationale et du système médical. "L’Angleterre était toujours plombée par une sous-classe de profiteurs qui vivaient dans une culture "tous les droits, zéro devoirs"." L’austérité entraîne clairement une crise de longue durée, alors comment ne pas se sentir désœuvrés ? Le monde étant devenu fou, il est peut-être temps de se recentrer sur l’humour et les capacités de l’imaginaire. K. E.

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