De la gloire, Jean Forton, auteur de huit romans chez Gallimard entre 1954 et 1966, ne connut jamais que la promesse. Faute peut-être d’avoir jamais su préférer Paris à sa ville natale, Bordeaux, à laquelle l’attachait un double et paradoxal sentiment de fascination et d’exaspération. Il manqua de peu le Goncourt, plus nettement de toute envie de faire carrière. Déçu par l’insuccès de son ultime roman, il cesse d’écrire (en tout cas, de publier) à l’âge de 36 ans et disparaît de façon tout aussi prématurée, oublié de presque tous, à 52. Presque, car les éditions du Dilettante, puis Finitude, et aujourd’hui L’Eveilleur vont s’attacher à permettre la redécouverte de cette œuvre attachante. En dernier lieu avec la réédition aujourd’hui de l’un de ses plus grands livres, Le Grand Mal, introuvable depuis de trop nombreuses années.
Années 1950, une ville portuaire (Bordeaux bien sûr, même si elle n’est pas nommée). Une ville noire, brouillardeuse, cafardeuse, alanguie. Une ville où disparaissent presque chaque jour des fillettes d’un respectable établissement catholique, où les hommes ont de bonnes têtes de coupables, mais coupables de quoi ? D’avoir vieilli, estimeraient peut-être Ledru et Frieman, deux collégiens qui font l’apprentissage de l’amitié, de l’amour, de la trahison et du "Grand Mal" qu’est toujours le temps qui passe. Pour dire ce deuil et la beauté vive de l’adolescence, Jean Forton a les accents tragiques de Simenon et maraude aussi du côté de Bove et de Guérin. Il est de leur race.
Olivier Mony