Loin du Mali. Ça arrive parfois. Un truc inattendu et joyeux. L'émergence dans notre champ littéraire d'une nouvelle voix authentiquement singulière. En l'occurrence celle, aux premiers jours de 2022, du Malien Diadié Dembélé qui, avec son premier roman Le duel des grands-mères (JC Lattès), réinvestissait la langue avec une belle ferveur poétique. Le prestigieux prix littéraire de la Vocation vint prendre acte de l'émergence d'un écrivain devenu par ailleurs collaborateur de Livres Hebdo. Dès lors, l'unique question qui pouvait se poser était de savoir si, comme c'est parfois le cas, ce coup de maître resterait un coup d'essai. Gageons que cette inquiétude se dissipera avec ce deuxième roman, Deux grands hommes et demi, plus politique − dans le meilleur sens du terme −, mais tout autant travaillé par la question fondamentale de l'écriture.

« Tous les matins, avant le lever du soleil, les mères pleurent l'absence des fils partis. Elles fixent l'horizon et supplient le ciel de protéger leurs bébés trop vite âgés et perdus sur les routes. Le soleil pourchasse la lune. Elles imaginent les enfants dans une grande forêt [...] prêts à mordre ce qui mord, prêts à bondir sur ce qui bondit, prêts à étrangler ce qui d'ordinaire étouffe sa proie. Les images qu'elles construisent dans leur cœur les rassurent. Leurs enfants savent se défendre. Ce sont des grands hommes et demi. » En voilà deux, d'ailleurs. Manthia et Toko. Des amis, presque des frères, originaires d'un village malien dans la région de Kayes. Ils ont 20 ans lorsqu'une récolte infructueuse les contraint au départ. Toko ne rêve que de cela, Manthia fait contre mauvaise fortune bon cœur. Ce sera donc Bamako, étape avant d'autres ailleurs, d'autres lointains. Car bientôt en ce début des années 1990, la situation politique et sociale oblige les deux amis à un départ plus radical encore. Ce sera alors Paris, dernière marge. Pour Toko, un accomplissement, une validation. Pour Manthia, ce sera différent et cela le mènera jusqu'à la solitude, l'oubli de soi et des siens et finalement, jusqu'à un centre de rétention administrative. Là, assisté d'un traducteur dont il mesure mal la bienveillance, il va raconter son histoire, celle de son ami.

L'histoire justement, celle de ce dur exil, se révèle tout entière grâce à cette langue, enfiévrée, presque opératique, juste en tout cas, qui en est le véhicule. Douloureuse histoire et beau travail.