Disparition

Disparition de Thérèse Lauriol Lartéguy

Thérèse Lauriol Lartéguy - Photo DR

Disparition de Thérèse Lauriol Lartéguy

Romancière, autrice jeunesse et traductrice d'une quarantaine de livres de l'anglais, Thérèse Lauriol Lartéguy s’est éteinte. Livres Hebdo reproduit ici l'hommage rendu ce vendredi 21 février lors de ses obsèques par son compagnon Francis Esménard, président de la holding propriétaire du groupe Albin Michel. 

Par la Rédaction de Livres Hebdo
Créé le 21.02.2025 à 18h05

« Thérèse Lauriol est née en 1943 à Alger dont elle a gardé une nostalgie incurable et un amour inconditionnel de la mer. Elle connaissait par cœur les premières lignes de Noces à Tipasa d’Albert Camus, qu’elle me récitait souvent. Comme tout adolescent - et pas seulement - qui a dû dire adieu à l’Algérie, elle a conservé de son départ une blessure qui ne s’est jamais refermée. Elle a laissé là-bas son enfance et la tombe de son père, mort quand elle avait six ans.

Son demi-frère, Marc Lauriol, qui avait vingt-sept ans de plus qu’elle, a endossé avec une grande délicatesse le rôle du père. Ils resteront, toute leur vie, inséparables. Marc Lauriol était un grand juriste, député d’Alger. Lorsqu’il est rentré en France dans les années 1960, il est devenu député des Yvelines sous la bannière RPR. Il l’est resté de longues années avant d’être sénateur, et sans jamais négliger l’éducation de cette demi-sœur de treize ans, ni manquer d’attention à la mère de Thérèse qui les avait suivis. Thérèse aimait tendrement cette très belle femme aux lointaines origines kabyles, qui s’est éteinte en France à l’âge de cent-un ans.

J’ai rencontré Thérèse pour la première fois lors de la Foire internationale de Nice, au temps des années Jacques Médecin, sur le stand des « Éditions spéciales » créées par Jean-Claude Lattès et Jacques Lanzmann. Il y avait là l’écrivain Jean Lartéguy - de son vrai nom Jean Osty - qui avait quitté son nid d’Aigle de Saint-Cézaire-sur-Siagne, dans la montagne au-dessus de Cannes, pour dédicacer son dernier livre. 

Jean Lartéguy avait publié ses premiers livres chez Albin Michel mais son immense succès fut la série Les Centurions, Les Mercenaires et Les Prétoriens publiée à plusieurs millions d’exemplaires. Ce grand écrivain, à la tête d’une cinquantaine d’oeuvres, fut aussi un combattant volontaire : Croix de guerre 39-45, Croix de guerre des Théâtres d’opérations extérieurs, Croix des combattants volontaires – quatre citations – blessé pendant la guerre de Corée. Jean était aussi Grand Reporter de guerre. Il signait ses articles dans les colonnes de Paris Match et de Paris Presse.

Thérèse est devenue madame Osty-Lartéguy. Avec Jean, elle a beaucoup voyagé. Elle est allée en Indonésie, au Vietnam, au Laos, au Cambodge – toute l’Indochine alors française. À Saïgon, elle a connu le fameux Hôtel Continental où Jean retrouvait parfois son grand ami Lucien Bodard, et les fumeries d’opium dont ils resteront longtemps adeptes à leur retour en France. Elle particulièrement, hélas, au point de s’intoxiquer. Elle s’en sortira toute seule, avec l’aide de sa grande amie France Roque.

Au grand désespoir de Thérèse, Jean refusait de l’emmener avec lui lorsqu’il estimait que le contexte était trop dangereux. Elle n’a pourtant pas échappé à tous les périls. Lors d’une traversée de la Birmanie, elle a contracté une grave hépatite à force de soupes infectes – dont ils préféraient ignorer les ingrédients - prises sur la route ou chez l’habitant. Elle dut être hospitalisée à Hong Kong où elle fut soignée pendant de long mois.

Lorsqu’elle l’accompagnait en reportage, Jean Lartéguy la présentait comme sa photographe. Elle aimait jouer le jeu. Elle était particulièrement fière de sa photo d’Ariel Sharon en casque de guerre. Cependant, son véritable métier n’était pas la photographie mais la traduction. Elle excellait dans cet art. Elle a traduit de l’anglais plus de quarante livres. Elle était douée d’une belle écriture, très sûre, élégante et musicale. « Quand on te propose une traduction, si tu ne sens pas tout de suite la musique de l’auteur, alors il ne faut pas l’accepter », me disait-elle. Elle a également publié chez Stock Les miroirs de la mousson, un roman qui connut un joli succès, où l’opium et ses sortilèges étaient évoqués.

Les dernières années de Jean Lartéguy furent tristes. Atteint de la maladie de Parkinson, il fut hospitalisé aux Invalides. Tous les après-midis, sans exception, pendant de longues années, Thérèse lui a rendu visite, et jusqu’à sa mort à 90 ans. Il est enterré au cimetière militaire des Invalides.

Après notre première rencontre à Nice, Jean, Thérèse et moi sommes restés en relation très étroite. J’ai participé à toutes les fêtes que le couple organisait dans leur maison de Saint-Cézaire, en Provence, ou celles de la place Fürstenberg à Paris où ils avaient un petit appartement. J’étais le soutien moral de Thérèse lorsque Jean, en reportage sur des zones de conflit, s’absentait pendant de longues semaines.

Plus tard, nous avons vécu ensemble plus de vingt années de pur enchantement. Thérèse était une personne magnifique à tous les points de vue. Elle était solaire, chaleureuse, érudite et d’une infinie sensibilité. Elle était capable de doutes profonds. Était-ce dû à la mort précoce de son père ? À cet arrachement de l’exil dont elle ne s’était jamais remise ? Elle me demandait souvent « Francis es-tu fier de moi ? »

Un jour que j’étais revenu déjeuner à la maison, elle m’a dit :

-Francis, je ne te vois jamais heureux.

-C’est que je sors du bureau avec trop de choses en tête, trop de soucis, trop de tracas...

-Je le sais, me répondit-elle, mais ce n’est pas la question que je te pose. Es-tu heureux de vivre avec moi ?

Alors, je l’ai prise dans mes bras et elle s’est écriée : « Soleil ! Soleil ! »

Thérèse était un chat. Elle le revendiquait. On ne l’entendait jamais. Elle avait ses coussins préférés. On la retrouvait toujours en train de lire. Thérèse lisait toute la journée et relisait beaucoup ses auteurs préférés, en français ou en anglais. « Je ne veux pas perdre mon anglais », rétorquait-elle lorsque je m’en étonnais. Je lui confiais souvent les manuscrits susceptibles de lui plaire. Nous en discutions ensuite. Nous étions presque toujours du même avis, même si parfois nous nous disputions pied à pied sur des points de détail.

Elle avait un goût sûr. Elle était fière d’avoir contribué au succès de M.C. Beaton et sa série d’Agatha Raisin en confirmant avec chaleur l’enthousiasme d’Anne Michel, qui lui avait demandé son avis. Souvent, en fin de journée, lorsqu’elle était fatiguée de lire, elle venait se blottir contre moi et me disait : « J’ai besoin d’un câlin ». Un chat, vous dis-je. Je l’enlaçais à nouveau, et elle me chuchotait : « Soleil, soleil ! »

Tard le soir, après le dîner, alors que je lisais tranquillement dans mon fauteuil, elle m’annonçait :

-Francis, je suis fatiguée. Je vais me coucher.

-J’arrive...

-Toi, le noctambule ? doutait-elle en souriant. Puis :

-Même si je dors, promets-moi de te serrer contre moi. Ça ne me réveille pas et je dors beaucoup mieux ».

Et elle allait se coucher avec, systématiquement, un Agatha Raisin. Elle n’emportait jamais le livre sérieux qu’elle lisait dans la journée. « J’aime bien m’endormir avec ces histoires, disait-elle. C’est un bonheur. »

Lorsque je la rejoignais, je la retrouvais invariablement endormie sur le dos, tenant dans ses mains le livre comme si elle le lisait encore. Je le détachais doucement de ses doigts, marquais la page et le posais délicatement sur sa table de nuit. Elle continuait à dormir, les mains exactement dans la même position, comme si elle tenait encore son livre qu’elle semblait toujours lire.

Nous nous aimions. Nous nous aimions passionnément. Pas un jour ne passait sans qu’elle me dise : « Comme je suis bien avec toi ». Chaque matin, au petit déjeuner, elle me chantait « Que je t’aime, que je t’aime … » la chanson bien connue de Johnny Hallyday. J’adorais l’écouter chanter. Elle chantait très juste. Elle avait fait de la danse et du chant durant sa jeunesse et jusqu’à la soixantaine, elle n’a jamais manqué le cours de danse qu’elle suivait en amateur.

Un jour, elle s’est exclamée : « Te rends-tu compte de notre chance ? Regarde les couples autour de nous ! Tu sais, Platon disait : ‘’Tout être en naissant doit trouver l’autre moitié de sa pomme’’. Eh bien, moi, je l’ai trouvée. C’est toi ! Et pour la première fois de ma vie, je me sens entière ».

Comment continuer à vivre après cela, sans cela ? Partir n’est rien. Le problème est de rester. Il demeure l’espérance. Je refuse de donner raison à Shakespeare : certes, la vie est pleine de bruit et de fureur, et nous n’en étions pas exempts Thérèse et moi, hélas.

Et je sais aussi, bien sûr, que la mort fait partie de la vie dès notre naissance. Mais je refuse de croire que la vie, et un amour tel que le nôtre, n’aient aucun sens. Qu’un amour tel que le nôtre ne signifie rien.

Alors oui, l’espérance, et le dernier livre de François Cheng m’a beaucoup aidé ces dix derniers jours. L’espérance tout entière dans cette phrase de Pascal Quignard, que j’ai empruntée à son dernier livre, Trésor caché :

« Nous ne naissons pas pour mourir mais nous naissons en mourant ».

Je veux croire, mon amour, que nous nous retrouverons. Qu’à ma mort, je renaîtrai à ta vie. »

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