14 novembre > Récit France > François Le Lionnais

Beaucoup moins connu que Si c’est un homme de Primo Levi, l’un des chefs-d’œuvre de la littérature "concentrationnaire", La peinture à Dora, bref récit de François Le Lionnais, n’a rien à lui envier. Ce petit bijou littéraire, à la fois drôle et bouleversant, œuvre d’un homme d’exception face à des circonstances tragiques, publié pour la première fois, confidentiellement, à L’Echoppe en 1999, reparaît aujourd’hui, pour la première fois illustré par les détails des 23 tableaux qui en constituent le cœur.

Le Lionnais (1901-1984) est un personnage inclassable, ingénieur chimiste, mathématicien, passionné d’échecs et de sciences, qui restera dans l’histoire littéraire pour avoir été l’un des pères fondateurs de l’Oulipo, en 1960. C’était un touche-à-tout, un érudit, "une sorte de Pic de La Mirandole, dira plus tard l’un de ses compagnons de déportation, qui savait tout, nous parlait de tout, de Tamerlan, de Gengis Khan, du Moyen Age, de Charles le Téméraire, de mathématiques, d’échecs, de sociologie". Et aussi - surtout -, de peinture. Résistant de la première heure, Le Lionnais est arrêté par la Gestapo en 1944, torturé et déporté au camp de Dora. Il y restera six mois, sabotant les circuits de guidage des fusées V2. Pour passer le temps, au sens fort, et pour ne pas devenir la bête que leurs bourreaux espéraient, Le Lionnais eut l’idée de se servir de son cerveau. Chaque jour, pendant l’appel, ignorant les injures et les coups, il avait entrepris de décrire des tableaux à l’un de ses compagnons, Jean Gaillard, mort lui, hélas, à Dora.

François, avec sa mémoire visuelle prodigieuse, raconte les détails des peintures de ce qu’il appelle "le plus merveilleux musée du monde", il donne à voir à Jean, qui se les imagine. Avec les œuvres classiques, pas de problème, mais avec La horde de Max Ernst, par exemple, c’était plus compliqué ! De plus en plus fort, Le Lionnais invente ensuite un jeu, où il projette les éléments d’un tableau dans un autre, des baigneuses de Fragonard, par exemple, au beau milieu de l’Enterrement à Ornans de Courbet. Et même, il s’adonne à la "peinture mentale", racontant les tableaux qu’il a imaginés, faute d’être capable de les peindre. Mais ces "créations liquides", comme il les nomme, disparaissent vite. A Dora, comme dans d’autres camps, on pratiquait aussi la musique, et l’on causait poésie. C’est sur cela que s’achève ce texte bien trop court, à l’origine un article, dont même l’achevé d’imprimer est un régal.

Signalons que, chez le même éditeur, Othello, "label du Nouvel Attila dédié aux textes mutants", paraît simultanément Le disparate, la première biographie de François Le Lionnais. Jean-Claude Perrier

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