L’amour ! Le message est comment l’amour perdure quand il est attaqué sur plusieurs fronts. On ne peut pas écrire un livre sur le Glasgow de 1899 sans évoquer l'aspect politique. Il y a le chômage, la pauvreté, la violence, la misogynie et l’homophobie... Mais, ils sont juste là pour tester l’amour. Mon seul but, était d’écrire une histoire d’amour entre un fils et sa mère.
Un amour triste...
Oui c’est un amour triste, mais aussi résilient. La mère de Shuggie le déçoit constamment, mais il revient à chaque fois. Il ne la juge jamais. Il l’aime et espère que demain sera un jour meilleur. Shuggie est un ingénieur de l’espoir. Les enfants peuvent surmonter plus qu’on ne le pense.
A quel point ce livre s'inspire-t-il de votre parcours ?
J’ai un vécu similaire à Shuggie : j’ai grandi aussi pauvre que lui, je suis le plus jeune enfant de ma mère, aussi loin que ma mémoire remonte, elle a toujours souffert d'alcoolisme, jusqu’à qu’elle meurt le jour de mes 16 ans. Je suis également queer et j’ai grandi dans un milieu patriarcal. Je comprends la solitude, l'isolement, la pauvreté, la perte et comment vivre avec l’addiction. Je voulais prendre toutes ces choses et en faire un travail de fiction. Mais je me repose sur plusieurs voix dans mon livre, et pas seulement sur ceux de Shuggie et de sa mère Agnes.
Le livre est également un plaidoyer pour le féminisme...
Je voulais que ce soit un livre féministe. Cette époque (ndlr : période industrielle de l'Ecosse, fin du 19e siècle) est un monde où tout se définit par ce que l’homme fait. Pour les loisirs, on parle football, pour socialiser, c’est le pub... Tout est question d’homme. Je voulais mettre les hommes contre le mur, en arrière-plan. Je voulais me concentrer sur la vraie force de l’époque qui pour moi est la femme. Mais je voulais aussi donner une voix aux hommes queer qui étaient invisibilisés, ce qui à l’époque était la meilleure chose qui pouvait leur arriver, la pire étant d’être brutalisé.
Bien souvent, seules les maisons d'édition indépendantes peuvent prendre un réel risque en littérature.Douglas Stuart
Qu’est-ce qui vous a motivé à écrire ?
Il y avait un silence énorme sur ce monde. Il était toujours décrit par le prisme des hommes hétérosexuels. J’ai voulu remplir ce silence, car ma mère était morte depuis 30 ans et j’ai réalisé que plus personne ne pensait à elle. Cétait une femme de la classe ouvrière et elle a disparu.
Votre livre a été refusé par plus d’une trentaine d’éditeurs, comment vous sentiez-vous à ce moment ?
J’avais une certaine acceptation. Je n’ai pas changé un mot, pas bouger une virgule. Le livre a une âme. S'ils l’ont rejeté, c’est que ce n’était pas un livre pour eux. Je croyais à Shuggie et à sa persévérance. Je ne pouvais pas demander à mon personnage d’être persévérant et de ne pas l’être moi-même.
Shuggie Bain est finalement accepté par un éditeur indépendant. Pour vous, que représente la place des éditeurs indépendants sur le marché du livre ?
Bien souvent, seules les maisons d'édition indépendantes peuvent prendre un réel risque en littérature. J’ai conscience que le monde de l’édition est un milieu bourgeois. Or, là, c’est un livre sur la classe ouvrière, et certains ont du mal à reconnaître ce monde. L’éditeur indépendant a cru en Shuggie. D’ailleurs la France est l’un des pays à avoir traduit en premier l’ouvrage, alors que certains éditeurs anglais le refusaient encore..
Dès notre enfance, on nous rappelle qui nous sommes, quelle est notre place et ce qui est attendu de nous. On n’attend rien de nous.Douglas Stuart
D’un enfant défavorisé de Glasgow, en passant par la vie d’un fashion designer à New-York, à un auteur primé par le Booker Prize. Quel regard portez-vous sur votre parcours ?
Je ne me suis jamais considéré comme une personne talentueuse. Je n’avais pas de prodige en moi, mais j’ai grandi en connaissant la valeur du travail acharné. Je n’essaie pas d’être humble. Je devais travailler deux fois plus que les autres. Pendant les dix ans où j’écrivais Shuggie Bain, je n'en ai jamais parlé à personne. J’avais peur d’être jugé : "pour qui se prend-il à écrire un livre ?" J’avais très peu confiance en moi. Je pense que cela est en partie lié à mes origines sociales. Dès notre enfance, on nous rappelle qui nous sommes, quelle est notre place et ce qui est attendu de nous. Or, on n’attend rien de nous.
Vous avez souvent dit que vous avez grandi dans une "maison sans livre". Quand avez-vous commencé à lire, et quels ouvrages vous ont marqué ?
C’était assez commun de ne pas avoir de livre chez soi. Dans mon quartier, personne ne lisait, mais ça ne nous rendait pas moins curieux ou créatifs. Vers l’âge de 16 ans, alors que j’essaie de réussir ma scolarité, mon professeur d’anglais m’a proposé des livres à lire. Le premier que j'ai lu est Tess d'Urberville de Thomas Hardy. La littérature a bouleversé mon monde.
Pouvez-vous me parler de votre second livre à paraître, Young Mungo ?
Il sera publié en avril 2022 en anglais et traduit en français, toujours chez Globe. A la fin de Shuggie Bain, on laisse le personnage à l’entrée de l’âge adulte. Je ne voulais pas développer ses amours et désirs, car l’objet du livre était sur l’amour qu’il porte à sa mère. J’avais donc ce besoin de parler d'homosexualité d'un autre point de vue. Mungo (ndlr : diminutif de Kentigern de Glasgow) est le saint patron de Glasgow. Mais mon Mungo est un jeune homme de 15 ans qui vit à la fin du 19e siècle dans la banlieue Est de la ville. Il est impliqué dans la petite délinquance. Sa famille a peu d’espoir pour lui. Il vit dans un quartier où la tension entre catholiques et protestants est importante. Lui jeune protestant tombe amoureux d’un jeune catholique. Pour moi, les différentes masculinités et ton lieu d’appartenance sont des sujets d'écriture passionnants.