Leçon hivernale : il faut lire attentivement et sans délai le Journal officiel , dont chacun connaît ou devine les qualités de Page Turner . C’est à ce prix que le professionnel du livre découvre des réformes parfois essentielles à la bonne conduite de ses affaires judiciaires. C’est ainsi que, en guise de bombe glacée du nouvel an, est paru un texte modifiant la compétence des tribunaux en matière aussi bien de diffamation et d‘injure que d‘actions contre les transporteurs de marchandises. La vigilance est de rigueur car le décret en question est daté du 29 décembre dernier… pour s’appliquer à toutes les procédures intentées depuis le 1 er janvier 2010 ! Certes, un rapport « Guinchard » sur L’Ambition raisonnée d’une justice apaisée était paru en… 2008 pour préconiser de telles modifications. De là à les opérer soudainement, en moins de quarante-huit heures, et à espérer que les justiciables demeurent alertes entre ouverture du champagne et envoi des vœux… Qu’avez-vous donc failli manquer ? Pour ce qui est du « droit de la presse » — autrement dit, de la diffamation et de l’injure —, c’en est fini de la possibilité de saisir le tribunal d’instance. Seul celui de « grande » instance est désormais habilité à juger toutes ces affaires. Rappelons que jusqu’ici, la loi scindait les contentieux en deux flots : au juge d’instance, la diffamation et l’injure dites privées ; à celui de grande instance les mêmes infractions commises publiquement. Certains de ces propos, visés par la loi du 29 juillet 1881, s’ils ne sont pas, par exemple, commercialisés en librairie, mais sont adressés sous forme de lettre ouverte, affichés dans des locaux d’entreprise, distribués sous forme de tract, ne remplissent pas, en droit, la condition dite de publicité : ce ne sont donc pas des délits, mais des contraventions. Et les débats étaient parfois compliqués pour départager face à certaines diffusions massives (un groupe sur Facebook en particulier) et déterminer le tribunal compétent, avec risque d’annulation de la procédure à la clé. C’est donc aujourd’hui le seul Tribunal de Grande instance (et, à Paris, la fameuse Chambre de la presse), qui juge de tout, à charge pour les mêmes magistrats d’infliger une sanction plus ou moins lourde selon la nature de l’infraction qui leur est soumise. Ce qui ne change rien, par ailleurs, à la faculté d’octroyer des dommages-intérêts colossaux pour une diffamation ou une injure qu’elle soit ou non publique. Malheur par conséquent aux gens du livre, prompts à dégainer à coups de diatribes, qui, depuis la nuit de la Saint-Sylvestre, ont agi devant des juges à présent incompétents (au sens juridique…). Plus tordue est la nouvelle répartition entre tribunal d’instance et de Grande instance en matière d’ « actions entre les transporteurs et les expéditeurs ou les destinataires », relatives aux indemnités pour perte, avarie, détournement des colis (y compris postaux) : tout ce contentieux continue de relever du tribunal d’instance ; sauf s’il s’agit d’envois recommandés et à valeur déclarée, portés à présent devant le seul tribunal de grande instance… Amis libraires, réceptionnaires ou vendeurs à distance, méfiance. Ceci est une aimable recommandation.