Un homme seul, chez lui. Il observe le plafond. Ou plutôt suit son idée qui monte vers les cimes de la pièce qu’il occupe. Il parle. Se parle. Nous parle. Le narrateur de Deuxième chambre du monde de Jean-Philippe Domecq a quelque chose d’une voix intérieure, d’un point de vue qui s’extériorise - mais n’est-ce pas justement ça, la littérature ? La deuxième chambre, c’est celle qu’on a dans sa tête, ou plutôt son cœur, son corps, une vibration - une chambre d’écho, qui se fait ici récit. Et la peinture des objets et des meubles alentour d’épouser le mouvement réflexif de la conscience. Il s’agit d’un solipsisme loquace. Cogito ergo sum, je pense donc je suis… Je suis donc j’écris… ergo scribo. Mais que suis-je ? "Tout ce qui fut qui n’y est plus, quand on y pense…/Tout ce qui sera quand on n’y sera plus, quand on y pense./Et tout ce qui ne pense pas, quand on y pense, tout ce qu’on ne pense pas…/Et tout ce qu’on vit sans qu’on le vive. Et tout ce qu’il y a, tout ce qu’il y a, alors que quoi, il y a tellement rien./ On passe à côté, en fait. On passe notre temps à passer à côté." Le narrateur du dernier roman de Domecq est comme "l’individu de la mansarde" du Bureau de tabac de Pessoa qui, de son poste d’observation, se rend compte que le buraliste d’en face, le bureau de tabac et son enseigne disparaîtront, comme ses vers de poète, comme la langue dans laquelle aura été écrite sa poésie, comme la planète, etc. C’est à l’aune de la fin que tout s’écrit.
"Le soleil ni la mort ne se peuvent regarder fixement", rappelle La Rochefoucauld. Faute d’être regardée, la Faucheuse, "la Grande Donnée", peut être imaginée. Avec l’imagination commence la fiction, la vraie. Ce que l’auteur de Qui a peur de la littérature ? (Mille et une nuits, 2002, prix du Pen Club français) appelle "métaphysique fiction". Une nomenclature neuve, tel le nouveau roman avec Robbe-Grillet en son temps, et sous laquelle Domecq classerait bien ses maîtres de l’écriture : de Proust à Kafka ou Beckett en passant par Thomas Bernhard, Bolaño ou les écrivains "métaphysiques" américains comme Faulkner. Dans Qu’est-ce que la métaphysique fiction ?, qui forme avec le roman un pendant théorique, respectivement les volumes 3 et 4 de son cycle "La vis et le sablier", l’écrivain parle également du potentiel méditatif et poétique du cinéma, à travers Tarkovski ou plus récemment Apichatpong Weerasethakul : des films dépassant le degré zéro du naturalisme pour nous porter vers les abîmes métaphysiques. Mais même si le septième art est un concurrent sérieux, rien ne saurait se substituer aux mots, au récit de la "non-vie", de "l’inquiétude" pascalienne qui nous fait rêver cet espace entre la précaire carrière humaine et son terme - rien jamais ne remplacera la fiction. Sean J. Rose