L’histoire de Sarah Bardin, jeune autrice de Réparée (Éditions Stock, octobre 2024), illustre parfaitement l'enjeu des tensions pouvant survenir entre liberté d’expression et respect des droits d’autrui. Ce récit aborde son parcours de reconstruction après un AVC qui l’a frappée à 29 ans, alors qu’elle était mère de deux petits garçons de deux ans et engagée dans une relation destructrice. Il soulève aussi la délicate question de la mise en cause d’un ex-compagnon.
À cet égard, l’éditeur doit faire preuve de vigilance avant la publication, en insistant notamment sur plusieurs points : suppression de tout élément d’identification (prénom, profession, zone géographique, milieu social etc.) ; relecture juridique par des professionnels qui vérifient les risques d’allégations d’atteintes à la vie privée ou de diffamation ; avertissements de contexte à l’attention des lecteurs.
Jeter le discrédit sur la parole des victimes
Malgré ces précautions, cette jeune autrice n’échappe pas à des tentatives de déstabilisation dont diverses accusations de mensonges ou de manipulation, lesquelles ont pour effet et/ou pour but de la discréditer ou de l’intimider.
En outre, lorsque de tels faits sont dénoncés, il est fréquent qu’une procédure judiciaire pénale ou familiale (devant le tribunal correctionnel ou le juge aux affaires familiales) soit pendante, avec donc à la clé de lourds enjeux pour l’auteur. Ces accusations peuvent en effet influer, à dessein ou non, sur le cours de la justice.
Jeter le discrédit sur la parole des victimes en arguant de manipulations ou de mensonges de leur part est devenu quasi systématique ; cela peut avoir pour effet de les dissuader de dénoncer publiquement les actes subis afin de préserver leurs enfants, leurs familles ou eux-mêmes. Dans le cas de Sarah Bardin, il en va de la garde de ses enfants…
Ce contexte judiciaire met en lumière une réalité complexe : les récits autobiographiques, bien qu’écrits dans un objectif altruiste (en l’espèce alerter sur l’AVC et le rôle des aidants), personnel ou cathartique, peuvent être instrumentalisés par les mis en cause.
La justice, arbitre des tensions littéraires
Cette affaire soulève une question cruciale : dans quelle mesure un ou une autrice peut-elle se raconter librement lorsque cela implique d’évoquer d’autres personnes ? Les tribunaux se retrouvent souvent en position d’arbitres, devant équilibrer entre le droit à la liberté d’expression et la protection de la vie privée des individus mis en cause.
L’exemple de Réparée illustre la nécessité pour les éditeurs de jouer un rôle actif dans la prévention des risques juridiques. Cela implique donc : d’effectuer une due diligence approfondie ; de s’assurer que les éléments sensibles sont traités de manière à minimiser les risques d’identification ou de litiges ; d’accompagner juridiquement les auteurs en collaborant avec des avocats spécialisés pour anticiper d’éventuels conflits ; enfin un soutien post-publication, ce qui suppose d’être prêt à défendre l’auteur face aux pressions externes, notamment judiciaires.
Création et droit : un équilibre fragile
Si la création littéraire est l’un des espaces d’exercice protégé de la liberté d’expression, elle est néanmoins limitée par les droits d’autrui et notamment le droit au respect de la vie privée. Les affaires récentes, comme celle du récit de Sarah Bardin, montrent qu’il est possible de se raconter tout en respectant les impératifs légaux ; mais cette liberté exige un accompagnement rigoureux, tant de la part des auteurs que des éditeurs et éditrices, afin d’éviter que les récits ne deviennent des champs de bataille judiciaires.