Romancier, nouvelliste, récipiendaire en France en 2015 du prix Roger-Caillois et en 2018 du prix du Meilleur livre étranger pour Deuils (Quai Voltaire, comme pratiquement l'ensemble de son œuvre traduite en français), le guatémaltèque Eduardo Halfon a su s'imposer comme l'un des plus précieux et gracieux écrivains du paysage littéraire. S'il fallait lui trouver un maître en Amérique latine, il serait moins à chercher du côté des chantres des grandes sagas romanesques à la García Márquez ou Fuentes que du côté des balades enchantées, énigmatiques et cosmopolites d'un Borges. Car non content d'être à la fois guatémaltèque donc et juif, il serait aussi un peu libanais, pas mal polonais, assez français et très américain (il a longtemps vécu aux États-Unis). C'est dans ce grand mezze fascinant que son inspiration trouve sa source. Là, et dans les histoires d'exils et de familles qui en découlent, au fil des frontières comme dans le grand vent de l'Histoire.
Son nouveau livre, Un fils comme un autre, ne fait pas exception à cette règle d'airain de la transmission comme finalité de toute chose. En jeu, l'évènement même. Voici qu'il y a quelques années, cinq ou six croit-on comprendre, Eduardo Halfon a eu un enfant. Un fils. La belle affaire certes, mais aussi éprouvante, complexe. Comment être père sans en passer d'abord par ce temps où l'on a soi-même été un gamin, sans tenir compte de l'histoire dont on est héritier. L'écrivain s'y attelle en courtes histoires plutôt que nouvelles, qui sont comme autant d'éclats du souvenir, d'instantanés à la fois élégiaques et douloureux. Là, ce sera le lac ayant bordé ses jeux d'enfance aujourd'hui asséché, ou un premier baiser échangé dans une salle de cinéma avec une fille qui quelques années plus tard sera victime d'une overdose d'héroïne. Ici, un objet transitionnel, une loutre verte en peluche ramenée de Madrid pour son fils, ou les jours de confinement passés avec lui dans un appartement parisien près du jardin du Luxembourg. Toujours se mélangent dans l'effroi et l'émerveillement ce qui s'est passé, ce qui aurait pu advenir et ce qui pourrait arriver. Le monde est une énigme à jamais indéchiffrable, un livre ouvert que lit un enfant à son père aveugle... Tout est bien.
Un fils comme un autre Traduit de l'espagnol (Guatemala) par David Fauquemberg
La Table ronde
Tirage: 4 000 EX.
Prix: 17,50 € ; 204 p.
ISBN: 9791037110466