Avant-critique Roman

L'espion qu'il aimait. Il y a des villes comme ça, où le réel paraît toujours un peu trembler. Des villes entre chien et loup, qui paraissent à jamais traversées par quelque théâtre d'ombres. Des silhouettes furtives échappées du souvenir, passagers clandestins d'une histoire plus grande qu'eux. Des espions. Ainsi de Genève, de Vienne, d'Istanbul, réinventées par les fictions spéculatives d'un John Le Carré, d'un Graham Greene, d'un Eric Ambler. Ainsi de Beyrouth, telle que la rêve Emmanuel Villin dans son brillant nouveau roman, son premier à l'enseigne bleue des éditions Stock sur les traces de Kim Philby, le plus grand maître espion du siècle dernier (qui a aussi établi pour des décennies le morphotype du traître).

Pour le narrateur du livre, qui se confond avec l'auteur, tout part d'une énigme et de la volonté sinon de la résoudre, au moins de la documenter. On sait en effet assez peu de choses du séjour qu'effectua Kim Philby à Beyrouth de 1956 à 1963 en qualité de journaliste. Si ce n'est que cette sorte de villégiature levantine lui servit pour ainsi dire de sas de sécurité entre Londres, où il avait commencé à être inquiété après la chute de ses complices Burgess et Maclean, et Moscou qu'il rejoignit pour ne plus en partir, à l'issue de ses années libanaises. Des années libanaises (mais aussi syriennes et turques), Emmanuel Villin en a connu aussi, notamment durant son service militaire effectué comme coopérant à Beyrouth. Ce qu'il en relate en ces pages est proprement hilarant. Il essaya de mettre à profit ce séjour pour traquer les traces évanescentes de Philby et plus encore d'une grand-mère inconnue, originaire d'Alexandrette en Turquie. Il sera plus souvent qu'à son tour accompagné en ces grandioses et pitoyables aventures par son cousin Nadim, auquel le lie, outre ses maladresses, un fraternel sentiment.

Un peu comme chez un Jean Rolin, l'humour chez Emmanuel Villin est une élégance. Une façon ironique de réenchanter le monde, d'en éloigner l'horreur tout autant que les cuistres. Ce Kim Philby et moi, cet espion qu'il aimait, est d'une virtuosité jamais gratuite. Il y a là un projet. Un projet littéraire.

Emmanuel Villin
Kim Philby et moi
Stock
Tirage: 3 000 ex.
Prix: 19,50 € ; 224 p.
ISBN: 9782234095656

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