L’actualité qui nous brûle les yeux tous les jours se nourrit d’existences singulières, brisées par une révolution ou une guerre. Maryam Madjidi l’a ressenti avant même de naître à la vie. Sa narratrice s’adresse d’ailleurs aux lecteurs depuis les entrailles de sa mère. Enceinte, cette dernière participe aux contestations du régime iranien, en 1980. Elle en paye un lourd tribut, puisque l’étudiante en médecine est renvoyée de l’université.
"Sa voix me parvient à travers la paroi de peau, de chair, de sang et de placenta qui me protège contre la barbarie du monde. Ma mère porte la vie, mais la Mort danse autour d’elle", confie l’embryon. Lorsqu’elle vient au monde, elle se réfugie dans les bras de sa grand-mère et dans un imaginaire salutaire. Mais cela ne l’empêche pas de saisir le désarroi de ses parents communistes. Un couple de révolutionnaires avertis, pris dans la tourmente de la dictature de Khomeyni. Après la case prison, une seule option s’impose : l’exil.
La petite fille de 6 ans ne comprend rien à ces "affaires d’adultes". Pourquoi doit-elle céder ses jouets adorés à d’autres bambins de Téhéran ? Pourquoi faut-il enterrer des livres et des rêves dans le jardin ? Pourquoi n’y aura-t-il plus de lendemains dans ce pays ? Le désanchantement atteint son apothéose lors de son arrivée à Paris. Leur fameux abri doit tenir en seulement quinze mètres carrés. "Qu’est-ce qu’on fait ici ? Dans ce trou qui sent l’humidité et la misère. La mère n’avait plus de sourire. Le père n’avait plus de jeunesse."
Tout le monde dépérit, y compris Maryam qui doit affronter un autre défi, l’intégration. A commencer par l’acquisition du français, que l’auteure enseigne désormais à des mineurs étrangers. "Je n’étais ni muette ni martienne", mais "le persan est la langue de l’exil, de l’arrachement". Tiraillée entre deux identités, l’héroïne reviendra sur ses terres quand elle sera trentenaire. Maryam Madjidi "voudrait semer des histoires dans les oreilles de tous les êtres". Elle réussit parfaitement ce pari dans ce roman, déchirant de poésie et de vie.
Kerenn Elkaïm