Que pensent les Russes ? En Russie, depuis 1992, une organisation non gouvernementale s'est donné pour mission de faire la clarté sur les victimes de la répression communiste. « Dès sa création, nous dit Étienne Bouche, Memorial avait entendu prendre en charge trois impensés : le travail de mémoire, l'évaluation juridique et la réflexion intellectuelle sur ces crimes. » Cette manière de faire surgir la vérité n'a pas plu au maître du Kremlin, surtout après l'annexion de la Crimée en 2014. La vérité était trop nue aux yeux du tsar. Il fut donc décidé de salir les historiens. Un dossier fabriqué de toutes pièces envoya Iouri Dmitriev devant un tribunal sous l'accusation de pédophilie. Arrêté en 2016, il est condamné à quinze ans de prison en 2021. Au cours du procès qui devait conduire à la liquidation de Memorial le 28 février 2022, quatre jours après le déclenchement de l'invasion de l'Ukraine, le procureur a accusé l'association de « réhabiliter des criminels nazis » en donnant une image « mensongère de l'URSS ».
En enquêtant sur Memorial, Étienne Bouche nous livre une analyse subtile des courants qui irriguent la Russie de Vladimir Poutine. Par ses rencontres avec des intellectuels et des artistes, le journaliste retrace d'une plume agile l'histoire de cette ONG, son travail de mise au jour des crimes du stalinisme et de défense des droits de l'homme. Elle a d'ailleurs reçu pour son action le prix Nobel de la paix en 2022, après son démantèlement. Le reporter, qui connaît bien ce vaste territoire, présente également les trajectoires de ses membres et les persécutions qu'ils subissent. « Le pays est incapable de se projeter dans l'avenir, car il n'a pas réglé ses comptes avec ce passé obsédant. » Alors il fait la guerre. À l'Ukraine mais aussi à l'histoire. L'Église orthodoxe participe à ce grand lessivage mémoriel.
Étienne Bouche a élargi son investigation bien au-delà de Memorial pour tenter de savoir ce que pensent les Russes. Et c'est un dénommé Micha qui donne son point de vue crûment sur cette société malade de son histoire. « Je hais tout ce "glorieux passé" qui a transformé le peuple en masse muette, qui nous a privés du droit d'être nous-même, qui nous a ôté la possibilité de nous épanouir, qui nous a foutus dans des quartiers ouvriers et rendus complètement dépendant du pouvoir. »
Memorial face à l'oppression russe
Plein jour
Tirage: 3 000 ex.
Prix: 19 € ; 208 p.
ISBN: 9782370670762