Les faits divers continuent de fasciner les lecteurs et les téléspectateurs, sans compter qu’ils inspirent les créateurs, de Gustave Flaubert à Emmanuel Carrère, en passant, bien sûr, par Jean Giono, André Gide ou Truman Capote. L’exercice d’évocation, que ce soit en roman ou par le biais d’un essai, reste délicat juridiquement.
La Cour d'appel de Paris l’a souligné, par un arrêt rendu le 27 mars 2017, à propos d’une femme reconnue que la justice avait, en un autre temps, jugée coupable de complicité d'assassinat de son mari et qui purge encore sa peine.
En l’occurrence, une émission de télévision avait « été construite à partir d'interviews de ses protagonistes judiciaires et journalistiques », mais également « illustrée de photographies et de vidéos ».
La condamnée considérait que cela avait porté « atteinte à sa vie privée, à son droit à l'image et à son droit à l'oubli ». La cour d’appel commence par estimer que, au titre du droit à l’information, que « la relation d'affaires judiciaires publiquement jugées, ayant connu un important écho médiatique, est légitime quand bien même elle ne correspondrait pas à une actualité immédiate et ne serait pas exempte d'un intérêt commercial pour ses auteurs. »
La plaignante retenait, au titre de sa vie privée, « les références à son passé d'escort-girl, sa situation conjugale et familiale antérieure à son union avec la victime », ainsi que son ancienne adresse. Il est toutefois noté que la plupart de ces éléments « ont été, avec son accord, publiés antérieurement sous forme d'interview » par un hebdomadaire.
Le droit à l'image
L'appelante contestait « que la publicité des débats ayant donné lieu à sa condamnation puisse justifier le rappel des faits relatifs à sa vie privée évoqués à cette occasion ». Las, pour les magistrats, « aucune information nouvelle quant au passé (…) ne figure dans le sujet traité, distincte des éléments (…) publiquement débattus devant la cour d'assises ». De plus, « si les faits apparaissent aujourd'hui relativement anciens, ils sont » au jour de leur diffusion dans l’émission litigieuse « récents par rapport à une condamnation ». Ils en concluent que « leur notoriété tant lors de leur commission que de la condamnation intervenue rend légitime leur rappel dans le cadre d'une émission d'information ».
Pour ce qui est du droit à l’image, la cour d’appel précise que « l'ensemble des documents visés a déjà été l'objet de publications, (…) aucune des images de la demanderesse présentées dans l'émission litigieuse n'ayant été captée durant sa détention ». Il est d’ailleurs indiqué que « les personnes détenues n'ont par ailleurs ni plus ni moins que les autres de droit sur leur image, s'agissant de photographies antérieures ou postérieures à leur incarcération. Ainsi ce droit ne connaît pour limite que le droit à l'information selon le statut ou le parcours des intéressés. »
Le droit à l'oubli
C’est surtout sur le « droit à la l'oubli » - qui existe aujourd’hui sous certaines formes pour internet - que les juges se penchent car « cette notion n'avait aucun fondement légal, même si elle était l'objet de recommandations de la CNIL, du comité des ministres du Conseil de l'Europe et du CSA. »
Cependant, « elle ne saurait faire obstacle au rappel d'affaires judiciaires portées à la connaissance du public au temps des débats auxquels elles ont donné lieu. Cette dernière observation lui est apparue particulièrement applicable à l'espèce, en regard de la gravité exceptionnelle des faits, de la médiatisation de l'affaire et du fait que (la justiciable) n'a pas fini de purger la peine à laquelle elle a été condamnée. La cour retient « qu'il ressort des jurisprudences nationales ou européennes citées (…) que le « droit à l'oubli » est en fait un élément de la vie privée, spécifique des personnes condamnées par les juridictions pénales, qui doit être apprécié au cas par cas. Mais, surtout, les décisions favorables à celles-ci intéressent prioritairement les personnes ayant purgé leur peine, ce qui n'est pas le cas en l'espèce. » C’est ainsi que la criminelle perd donc cet autre procès.
Une palette de moyens juridiques
Rappelons néanmoins que « les protagonistes des faits divers, et leur famille, disposent d’une très grande palette de moyens juridiques pour empêcher aussi bien les simples comptes-rendus de leurs péripéties que les fictions. »
C’est surtout l’article article 9-1 du Code civil, issu de deux lois de 1993, qui permet d’agir très largement, puisqu’il concerne les atteintes portées à la présomption d’innocence. Le secret de l’instruction, visé à l’article 11 du Code de procédure pénale, reste un instrument de censure très efficace. Ces deux textes ont, par exemple, servi de fondement à l’action en justice qui a visé Moloch, une « Série noire » de Thierry Jonquet, et qui a finalement été repoussée, en février 2000, par le Tribunal de grande instance de Paris.
Quant aux proches du présumé innocent, ils peuvent avoir recours au respect de la vie privée, prévu à l’article 9 du Code civil. C’est l’argument utilisé par la famille de l’épouse du Docteur Godard, qui a fait interdire, en référé, par un juge de Caen, la publication dans Le Figaro littéraire d’un feuilleton de Françoise Chandernagor.
La « Loi Guigou » sanctionne par ailleurs la publication de photographies de personnes menottées… Et le Tribunal de grande instance de Paris a considéré, dès 1995, qu’un condamné pénal ne devait pas supporter à nouveau le poids d’une faute déjà payée, par le biais d’une publication de son image, bien des années après les faits. Les dispositions du Nouveau Code pénal interdisent toujours les « gravures, dessins, portraits ayant pour objet la reproduction de tout ou partie des circonstances » de la plupart des crimes et délits.
Le commentaire même des procès criminels est un exercice à risque.
L’article 30 de la célèbre loi du 29 juillet 1881 protège expressément les cours et tribunaux de toute diffamation. L'article 434-24 du Nouveau Code pénal fustige les outrages aux magistrats, aux jurés et aux témoins. L’article 434-25 du même code sanctionne le discrédit jeté sur un acte ou une décision juridictionnelle. Quant à l’article 434-16 du Nouveau Code pénal, il vise les pressions exercées sur les jurés et sur les témoins, par un moyen public, avant la décision juridictionnelle…
De même, beaucoup d’informations de nature judiciaire sont interdites de publication. C’est ainsi que l’article 38 de la loi de 1881 interdit de divulguer les actes d’accusation et tous autres actes de procédure criminelle ou correctionnelle, avant qu’ils aient été lus en audience publique.
L’article 39 prohibe le compte-rendu des délibérations intérieures des jurys, des cours et tribunaux. Bref, la paraphrase est de rigueur.
Anonymat
Ce même article 39 de la loi de 1881 interdit encore, en théorie, de rendre compte de certains litiges, tout comme de publier les pièces de procédures particulières : il s’agit là en particulier des contentieux concernant la diffamation, des divorces ou des actions en filiation. Seul le dispositif (c'est-à-dire la sentence finale) de ces décisions peut être librement publié. Quant aux motivations de ces décisions de justice, une exception subsiste au profit des seules publications techniques, qui doivent cependant respecter l’anonymat des parties.
L’évocation d’un viol ou d’un attentat à la pudeur ne doit comporter ni le nom de la victime ni de renseignements pouvant permettre son identification. De même, la très grande majorité des affaires judiciaires auxquelles des mineurs sont mêlés ne peuvent être, sauf exception, l’occasion de dévoiler leur l’identité et leur personnalité.
L’article 2 d’une loi de 1931 empêche encore toute publication d'une information sur les constitutions de partie civile, avant que n’intervienne la décision de justice attendue.
C’est dire si, pour un cas précis, il existe nombre de raisons juridiques pour appeler les éditeurs à la vigilance.