Rentrée littéraire 2021

Fanny Taillandier, «Farouches» (Seuil) : Aux frontières

Fanny Taillandier, Bagnolet, mars 2021 - Photo © Leslie Moquin

Fanny Taillandier, «Farouches» (Seuil) : Aux frontières

Le long d'un littoral méditerranéen d'anticipation, Fanny Taillandier cartographie d'invisibles conflits de territoires dans un roman à l'étrange tension.

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Par Véronique Rossignol
Créé le 05.08.2021 à 15h00

Après l'ample Par les écrans du monde, le cadre du quatrième livre de Fanny Taillandier - une colline en restanques du littoral méditerranéen - apparaît aux premiers abords plus resserré. Et ce roman semble moins dramatique que le précédent, à en juger par les préoccupations de ce beau couple installé dans sa belle maison avec vue lointaine sur la mer dont les seuls problèmes sont les sangliers qui saccagent le jardin.

Il y a certes la chaleur qui immobilise l'été dans ce futur à peine anticipé qu'imagine la romancière. Un futur où la frontière entre l'Italie et la France n'existe plus. Jean et Baya, 40 et 36 ans, habitent en effet depuis dix ans à quelques kilomètres de la capitale de la Ligurie, une région autonome qui va de Marseille à Gênes : une Riviera en surchauffe. Cette chaleur a fait la prospérité de Jean qui installe des systèmes de climatisation dans les monumentaux centres commerciaux de la côte. Le couple sans enfant mène une vie privilégiée sans luxe tapageur - une piscine plus modestement baptisée « bassin », un jardinier anglais pour l'entretien des extérieurs sans clôtures de la propriété -, dans ce que les deux appellent « leur » colline. Mais une menace diffuse s'installe et d'imperceptibles tensions lézardent la complicité du couple. Perturbé par une histoire de règlement de comptes mortel entre trafiquants d'une cité du littoral, Jean, ex-petit délinquant que le confort conjugal et matériel a domestiqué, est peu à peu rattrapé par une « honte » sans objet, une « rancune vague », une « étrange colère ». La plus lisse Baya se met quant à elle à épier une voisine peu causante installée dans une maison jamais terminée gagnée par la garrigue qui l'a fait ressembler à « une bête futuriste tapie dans la jungle, comme certains forts ou bunkers, une fois abandonnés par les empires qui les ont construits, sont pour ainsi dire rendus à l'état sauvage ».

Sous l'apparence d'un thriller dystopique au soleil, on reconnaît bien l'intérêt de la romancière pour l'architecture comme marqueur social et témoin de civilisation. Des cadastres préhistoriques gravés dans la pierre aux répartitions spatiales tacites, Farouches s'attache à « l'organisation des humains et des lieux ». Cartographie d'archaïques conflits de territoire, des frontières invisibles. Celles qui séparent « les gens d'ici » et les étrangers, que se disputent les trafiquants entre eux. Celles aussi qui délimitent le chasseur et le gibier, l'homme et la bête. Mais qui des deux est le plus « farouche » ? Il n'y a pas que les genres littéraires qui sont brouillés dans ce roman au suspense furtif et aux nocturnes visions.

Fanny Taillandier
Farouches
Seuil
Tirage: 6 000 ex.
Prix: 19 € ; 288 p.
ISBN: 9782021485097

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