Journées de l'ABD 2024

Faut-il supprimer les ressources numériques en bibliothèque ?

Les journées d’études de l’association des bibliothécaires départementaux (ABD) étaient organisées du 23 au 25 septembre 2024 au Puy-en-Velay (Haute-Loire), et ont réuni plus de 200 participants - Photo Fanny Guyomard

Faut-il supprimer les ressources numériques en bibliothèque ?

Cette question polémique s’est posée lors des journées d’études 2024 de l’Association des bibliothécaires départementaux, qui se sont tenues du 23 au 25 septembre au Puy-en-Velay : faut-il arrêter de proposer des ressources en ligne, dans un contexte d’économies énergétiques et budgétaires ? La bibliothèque départementale de Loire-Atlantique a par exemple sauté le pas. Dès lors, quelles sont les bonnes raisons de continuer, ou d'arrêter ce service ? Recueil d’arguments.

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Par Fanny Guyomard
Créé le 26.09.2024 à 12h24

Les chiffres sont appel. Comme le notait le Centre national du livre dans son baromètre 2023, les Français consacrent en moyenne 41 minutes par jour à la lecture, contre 3h14 aux écrans. De quoi pousser les bibliothécaires départementaux, réunis au Puy-en-Velay (Haute-Loire) dans le cadre des journées de l'ABD, à s'interroger sur l’utilisation la plus pertinente possible des outils numériques : faut-il les délaisser pour soutenir le livre physique ? Ou suivre les usages et espérer que la proposition de jeu vidéo en bibliothèque amène les utilisateurs vers le livre ? « Le numérique apporte le pire comme le meilleur. Il y a une balance à faire entre solutions et problèmes », résume l’intervenante informaticienne Adélaïde Albouy-Kissi.

  • Pour le meilleur

Contrecarrer les infox

La bibliothèque est le seul lieu public qui propose gratuitement de la culture et de l’information de qualité, rappelle Christel Belin, coprésidente de l’ABD. Une compétence d’autant plus précieuse quand les internautes nagent dans l’infobésité et les infox.

Sinon, qui d'autre le ferait ?

Il faut donc jouer sur leur terrain : proposer ces ressources culturelles et journalistiques en ligne. Ce qui suppose une logistique conséquente. « Nous sommes les seuls à pouvoir porter ce type de ressources dans des petites voire de moyennes villes », souligne Émilie Richard, de la Médiathèque du Calvados, qui investit plus de 70 000 euros par an dans sa plateforme culturelle en ligne.

Un service ouvert la nuit !

La force d’Internet : passer outre les murs et les horaires des bibliothèques physiques. « Nous mettons en ligne un savoir accessible 24h/24 », applaudit Émilie Richard. Ce qui suppose de former les habitants mal à l’aise avec l’informatique. C’est d’ailleurs inscrit dans la loi : les bibliothèques doivent contribuer à la réduction de l'illettrisme et de l'illectronisme.

Un outil de communication

Enfin, ces ressources numériques rendent la bibliothèque attractive. « Les jeux vidéo sont pour nous un produit d’appel », remarque Bérénice Pictory, de Haute-Savoie et Savoie Biblio.

  • Pour le pire

Gourmand en énergie

Mais les bibliothèques doivent-elles alourdir l’empreinte environnementale du numérique ? Est-il nécessaire de proposer des ressources en streaming ? Il faut leur préférer des ressources déconnectées d’un serveur. Julie Brillet, formatrice à l’Etabli du numérique, a présenté un jeu de questions apprenant à hiérarchiser les pratiques plus ou moins polluantes. Les plus : poser des questions à ChatGPT ou renouveler un ordinateur ou un smartphone. Elle rappelle aussi que le son utilise plus de données que du texte, une vidéo 4k huit fois plus qu’en 720p HD…

Pour une minorité d'habitants

En plus, c’est une offre qui touche une minorité d’habitants. Dans le Lot, 5 000 personnes sont inscrites à sa bibliothèque en ligne, sur 175 000 habitants… « Même si les cohortes ne sont pas importantes, c’est un outil qui a du sens pour les personnes qui utilisent ce service », estime Julia Morineau-Éboli, qui dirige la bibliothèque de la Haute-Loire.

Mais quel seuil minimum d’activité accepter ? « Nos ressources étaient seulement utilisées par 5 % (c’est une estimation) des personnes inscrites dans les bibliothèques de notre département », indique Marion Druart, responsable de la médiathèque de Loire-Atlantique… qui a supprimé son offre numérique cette année. « On l’aurait gardée si nous n’avions pas été dans un contexte budgétaire rude », précise la directrice.

Pour que ces collections virtuelles gagnent en popularité, il faut une communication d’ampleur, rappelle Émilie Richard. « Jusque là, nous n’avons pas été à la hauteur au niveau de la communication et de la médiation », regrette la bibliothécaire du Calvados, laquelle vient seulement de lancer une campagne de communication grâce à l’aide de l’État décrochée via le label Bibliothèque numérique de référence (BNR). « Dès que l’on publie un post Facebook faisant la publicité de nos ressources numériques, on a 100 abonnés dans la journée ! »

Gourmand en sous

Le nerf de la guerre : le coût trop élevé de ces contenus pour les bibliothèques départementales. Les dents grincent des dents en voyant les prix auquel leur fournisseur leur vend le visionnage d’un film ou d’un livre à l’unité, sous la forme d’un « jeton ». « On a eu la mauvaise surprise cette année de découvrir que les nouveautés comptent désormais pour deux jetons ! », déplore une bibliothécaire.

Il faut donc négocier. La Haute-Loire a réussi à diminuer la facture en ne payant plus par jeton, mais au nombre d’utilisateurs. Le prix à payer : moins de ressources à disposition. 

Pour peser dans la négociation, faut-il créer un site de ressources numériques national, interpellent l’ABF et l’ABD ce 22 septembre... à l’image de Lirtuel, en Wallonie-Bruxelles. Jérôme Belmon, porte-parole du ministère français, s’est montré ouvert à la discussion.

Autre levier : financer la plateforme numérique avec les communes, qui versent par exemple annuellement à leur bibliothèque départementale une vingtaine de centimes par habitant. Et valoriser les ressources numériques gratuites pour les bibliothèques.

Déjà trop d'écrans

Mais faut-il encourager les citoyens à regarder des écrans ? Sachant qu’ils perturbent notamment l’endormissement, et que les Français dorment déjà de moins en moins. La stratégie du Lot : prêter des jeux vidéo, mais aussi une exposition et une borne d’arcade « pour favoriser la socialisation »« Nous devons continuer à être des lieux d’accueil, de présence. Les bibliothèques ont un rôle à jouer en tant que catalyseur de lien social », défend la coprésidente de l’ABD Céline Meneghin.

Comme nous l’apprenait en avril le Centre national du livre, les 7-19 ans passent dix fois plus de temps sur les écrans qu'à lire des livres. Mais si c’est pour s’y faire des amis ?

Quelques ressources pour aller vers des usages plus raisonnés du numérique, sélectionnées par l’informaticienne intervenante Adélaïde Albouy-Kissi

Lire aussi notre enquête « pourquoi promouvoir le livre numérique en médiathèque ? », parue dans LH le magazine n°31 de mai 2023.

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