25 août > Roman Liban-France

Poète, parmi les plus importants de notre temps, Vénus Khoury-Ghata est également romancière. Elle réunit ici le meilleur de ses deux talents, en consacrant un roman, court mais dense, aux derniers mois de la vie du poète russe Ossip Mandelstam, né à Varsovie en 1891 dans une famille juive bourgeoise, et mort dans un camp de déportation non loin de Vladivostok, le 27 décembre 1938, attendant d’être envoyé en Sibérie. Affaibli, refusant de s’alimenter, muré dans une espèce de folie paranoïaque, quasi mort-vivant, son corps n’a pas résisté au typhus.

Le récit de Vénus Khoury-Ghata n’est pas linéaire. Ce n’est pas une biographie. Plutôt une tentative de se glisser dans la peau et dans la tête malade de Mandelstam, tandis qu’il se laisse périr. Jusqu’au bout, il entretient un dialogue imaginaire et grotesque avec Staline, dont il était devenu l’une des bêtes noires, en 1933, lorsqu’il consacre un poème terrible au "montagnard du Caucase", à "l’homme du Kremlin", qu’il appelle "l’assassin le mangeur d’hommes", avec "ses gros doigts comme des vers pleins de graisse". On imagine la réaction du "petit père des peuples" : Mandelstam, comme tant d’autres intellectuels, artistes, est arrêté, dès 1934, et passera le reste de sa vie persécuté, misérable, exilé, interné, affamé, ne devant subsistance et logement qu’à la charité de ses rares amis fidèles et courageux. Pasternak, par exemple, ne le laissera pas tomber, tandis que Boukharine ou Gorki, écrivains officiels du régime, refuseront de l’aider, avec violence et mépris.

Il faut dire que Mandelstam n’était pas facile, ombrageux, insupportable. A ce titre, il faut saluer sa femme, Nadejda Kazine, plus jeune que lui de vingt ans, qui a accepté de partager son sort de paria, de subir toutes les avanies, et, après la mort du poète, s’est dévouée à faire publier son œuvre, interdite sous Staline, et a réhabilité sa mémoire. Pari tenu, puisque aujourd’hui Mandelstam est considéré comme l’un des plus grands poètes russes du début du XXe siècle, avec d’autres victimes de la barbarie, comme Maïakovski, Anna Akhmatova ou Marina Tsvetaïeva, et qu’une Vénus Khoury-Ghata met sa plume à son service. Fraternellement, avec émotion, et sans pathos superflu. Point besoin d’en rajouter, la réalité de Mandelstam est suffisamment tragique. Mais la poésie est plus forte que tout, elle défie la mort, le temps, et les dictateurs "mangeurs d’hommes". J.-C. P.

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