Une fois n’est pas coutume, Olivier Bleys rompt avec ces belles machines romanesques historiques qui ont fait sa réputation, et que l’on aime tant, pour quelque chose de plus dépouillé, de plus abrupt, de plus oppressant. A l’image de la montagne en général, et en particulier de ce massif de l’Aconcagua, dans la cordillère des Andes, qui sépare l’Argentine, où se situe le roman, du Chili. Et qui enserre, étouffe, la petite station climatique d’Uspallata.
C’est là que vit Jonas Munoz, le narrateur, né en 1970 de l’union d’Aldana, visiteuse en pharmacie, et de Rosario, étudiant en droit, mort en 1982. Jonas, marié à Catalina, qu’il a autrefois sauvée, père d’une petite Rosario, est pilote d’hélicoptère léger, spécialiste du ravitaillement des refuges de haute altitude, comme celui de Maravilla. Justement, le jour de l’Assomption 2012, il part pour ce poste, où vit le gardien, un taiseux, avec son chien Coca, un vieux malamute inoffensif. A Maravilla, séjourne aussi Jésus, un ingénieur de Punta Arenas, recruté au Chili, chargé d’établir dans la montagne des relevés précis du tracé entre les deux pays. "Je vérifie la frontière", explique-t-il à Jonas, parvenu sur place car "il y a des incertitudes". Mais Jésus est un type bizarre, qui exerce sur les autres un puissant ascendant.
Sa mission accomplie, Jonas s’apprête à redescendre, pressé de rejoindre sa petite famille, qui l’attend déjà. C’est alors que survient une féroce tempête de neige. Force est de passer la nuit. Le lendemain, une tentative de décollage "à l’arrache" se solde par un échec, et un crash. Jonas, sain et sauf, se retrouve bloqué à Maravilla, et c’est là que tout dérape. Jésus, qu’on n’appelle plus que "le prophète", l’embauche comme assistant, et l’entraîne vers les sommets, dans ce qui va s’avérer une marche extrême, épuisante, une ascèse, une mortification, une folie. Jusqu’au bout de soi-même.
Le temps est aboli, le reste du monde n’existe plus. Tout cela a-t-il duré des mois, ou bien simplement trois heures, jusqu’à ce que Jonas soit porté disparu, en bas, à Uspallata? Au lecteur, emporté par la minutie "balzacienne" des descriptions d’Olivier Bleys, par ses réminiscences saint-exupériennes, par son sens du suspense, de le découvrir.
Jean-Claude Perrier