Au cimetière des éléphants. Dire que la vie de François-Marie Banier (né Banyaï, d'un père d'origine hongroise, en 1947) est un roman serait un euphémisme. Tout, dans sa trajectoire, est hors norme. De ses débuts de touche-à-tout autodidacte remarqué par les plus grands, Dali, Pierre Cardin ou Aragon, qui le « lance » dans un article des Lettres françaises en 1971, jusqu'à la plus que rocambolesque affaire Bettencourt, qui défraie la chronique à partir de 2008 et vaudra à Banier des condamnations à de la prison avec sursis et à des amendes salées, en proportion avec ce qu'il a touché durant des années de la part de la propriétaire milliardaire de L'Oréal.
Romancier, dessinateur, photographe, acteur à ses heures, beau gosse durant longtemps et gay assumé, Banier a connu tout le monde, et, apparemment, il a tout noté dans des carnets, un journal qu'il devrait publier un jour. Lequel devrait faire un joli rififi, si l'on en juge par le présent ouvrage, Dialogues interrompus... Par la mort de ses prestigieux interlocuteurs !
Voici donc, par ordre d'entrée en scène, Aragon, rencontré avec Elsa Triolet à la fin des années 1960 à la sortie d'un concert de James Brown à l'Olympia. Après le décès d'Elsa en 1970, Banier a fréquenté Aragon jusqu'à sa mort en 1982, mais leurs dialogues ici retranscrits courent jusqu'en 1973. L'écrivain vieillissant y monologue, revisite ses souvenirs (Apollinaire, Breton rencontré en 1917), ses rapports compliqués avec le PCF ou encore les femmes de sa vie, avant Elsa, lorsqu'il était un « abominable coureur ». Vient ensuite Lili Brik, la sœur d'Elsa, qui fut l'égérie de Maïakovski et que Banier a fréquentée de 1975 à 1978, l'année de son suicide. Elle évoque surtout la Russie d'avant les Soviets, puis celle d'après. Entre Banier et elle, on peut parler d'une sorte d'amitié amoureuse. Après, place au mécène Charles de Noailles, veuf de Marie-Laure, avec qui il a formé un couple richissime et totalement anticonformiste. Il était un aristocrate égaré dans son siècle, qui n'aimait que la chasse à courre, les voyages, les jardins et la sculpture, d'un snobisme atavique (« Proust n'était pas reçu rive gauche et il en souffrait atrocement »), et ne s'intéressait réellement à rien, surtout pas aux autres humains. Lui et Banier ont échangé des quarts d'heure à parler « de tout et de rien », jusqu'à la mort du vicomte en 1981.
Enfin, le meilleur, ce sont les pages consacrées à Nathalie Sarraute, que Banier a fréquentée de 1982 jusqu'à sa mort en 1999. Une amitié hautaine, avec une femme d'une vacherie sans nom, qui débine Sartre, Simone de Beauvoir, Yourcenar qui « démonétise la collection ["La Pléiade"] » en y entrant, Marguerite Duras, ou encore l'éditeur Jérôme Lindon, de chez Minuit, qui « n'a jamais rien compris à la littérature ». Elle affiche une grande vanité, une totale mégalomanie − « je ne veux être comparée à personne » −, et un caractère imprévisible. Tantôt odieuse, tantôt affectueuse : « François-Marie c'est mon fils », déclare-t-elle un jour à la propre mère du garçon ! Elle était également obsédée par la judéité, la sienne et celle des autres.
Poussières, dira-t-on, qui n'enlèvent ni n'apportent rien à l'œuvre d'écrivains célèbres morts depuis longtemps. Elles éclairent juste un peu leur personnalité, sans concession.
Dialogues interrompus
Flammarion
Tirage: 5 000 ex.
Prix: 21 € ; 224 p.
ISBN: 9782080439352