Avant-critique Roman

La pièce manquante. À l'été 2009, dans la Sarthe, sur l'hippodrome des Fontenailles, un trotteur s'effondre en pleine course. La semaine suivante, des gendarmes, des chiens, des plongeurs et des volontaires explorent les abords du site. Les habitants de la commune voisine croient d'abord qu'une enquête a été ouverte à la suite du décès du cheval, avant que le corps d'une fillette ne soit retrouvé. Elle avait 8 ans, ses parents avaient signalé sa disparition. Un an plus tôt, la directrice de l'école où la petite était scolarisée avait alerté le parquet du Mans pour des « soupçons de maltraitance » après avoir observé « des bleus, des griffures ou des coupures » sur le corps de l'enfant, mais le médecin et les services sociaux n'y avaient vu que des « bobos » relevant « d'accidents de la vie courante ». À la suite de ce signalement, la petite, ses parents et ses quatre frères et sœurs avaient déménagé, pour la sixième fois en deux ans.

L'affaire Marina Sabatier, Frédéric Boyer la découvre par hasard dans les colonnes d'un journal. Elle aurait pu rester une tragédie parmi d'autres mais elle l'obsède bientôt, comme un « puzzle encombrant impossible à réaliser parce que, confrontés à ce genre d'histoire vraie, nous savons qu'une pièce nous manquera toujours ». Dans le puzzle assemblé par Frédéric Boyer, on devine les défaillances des services sociaux, l'isolement qu'engendre la pauvreté, les espoirs déçus d'une mère dépassée, les errements d'un père qui ne sait plus ce qu'il fuit, et de terribles actes de maltraitance. La pièce manquante esquisserait une réponse à l'insondable question : « Comment vivre avec le mal ? » En présentant les faits sans nourrir quelque fascination pour le sordide, en donnant un contour aux lieux dans lesquels ils se sont inscrits, Frédéric Boyer n'entend pas « démasquer » le mal, mais « l'imposture de notre situation face au mal ». Comme dans Le lièvre (Gallimard, 2021), histoire d'une année dans la vie d'un jeune garçon et de secrets familiaux ressurgis à l'âge adulte, Si petite, tout en mêlant récit et confessions, prend la forme d'une méditation sur cette insoluble équation philosophique. Face à l'impossibilité de s'en tenir aux faits, l'écrivain se confronte à la nécessité de se réfugier « dans le secours de la fiction », aussi parce que « les faits, ici, ne sont rien d'autre que le lieu duquel la petite n'a jamais pu s'échapper ». La justesse et la force de ses mots s'érigent contre l'insignifiance apparente du destin de la fillette, et invitent au bouleversant exercice de la compassion.

Frédéric Boyer
Si petite
Gallimard
Tirage: 4 500 ex.
Prix: 14 € ; 128 p.
ISBN: 9782073075628

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