"Si j'étais lié à un Panthéon africain, je choisirais comme divinité, comme figure à imiter ou à l'intérieur de laquelle m'installer, Legba, le Dieu des carrefours, de la communication, des seuils, des passages", disait celui qui se définissait aussi comme un "passeur de frontières".
En 1946, quand il met le pied en Afrique pour sa première mission anthropologique, le jeune universitaire, né le 21 décembre 1920 à Aillevillers-et-Lyaumont (Haute-Saône), est encore pétri des enseignements de l'ethnologie traditionnelle, alors vouée à l'exploration de sociétés "primitives", réputées sans histoire et sans mouvement. La réalité qu'il découvre, dans une société sénégalaise tiraillée par la question coloniale, est toute autre.
Une approche ethnologique révolutionaire
Le jeune homme, entré dans la Résistance après avoir été réfractaire au STO, y est sensible. Il considère d'emblée comme prioritaire l'analyse des mouvements sociaux et culturels qui secouent le continent. Dès 1947, il participe au côté de Jean-Paul Sartre et de son ami Michel Leiris à la revue Présence Africaine, fondée par Alioune Diop. Sa première contribution s'intitule "Le Noir est un homme".
"Faire de l'ethnologie sans tenir compte de la situation coloniale équivaut à se moquer du monde", lance-t-il en 1951, en publiant un article qui fait grand bruit sur "la situation coloniale".
Anthropologue de terrain, il parcourt la Côte d'Ivoire, la Guinée, le Bénin, le Congo, le Mali, le Gabon, la Mauritanie... et y tisse des liens avec les grandes figures de la décolonisation: Sékou Touré, Houphouët-Boigny, Léon M'Ba, Léopold Sedar Senghor.
En 1957, il contribue à populariser le concept de "tiers-monde" inventé avec le démographe Alfred Sauvy. Une référence au Tiers État de la Révolution française, pour qualifier l'aspiration d'un ensemble de peuples et de nations à obtenir une place plus juste dans l'Histoire.
Professeur
Dans sa leçon inaugurale à la Sorbonne où il crée la chaire de Sociologie africaine en 1962, Georges Balandier résume sa vision de l'anthropologie: "Je présenterai les sociétés et les cultures dans leur devenir, leurs mouvements et leurs problèmes les plus révélateurs d'elles-mêmes, je les libèrerai des fils emmêlés où les mythologies les avaient enfermées et momifiées."
Outre son titre de professeur émérite à la Sorbonne, il sera tout au long de sa carrière universitaire directeur d'études à l'Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS), fondateur du Centre d'études africaines et des Cahiers internationaux de sociologie.
Georges Balandier en livres
Auteur de dizaines d'ouvrages, Georges Balandier a principalement été édité par les éditions Fayard, avec notamment, ces dernières années : Le Grand système, Conjugaisons, Le Dédale : pour en finir avec le XXe siècle, Le désordre : éloge du mouvement ou encore Le Pouvoir sur scènes.
L'ethnologue et sociologue a également été une des grandes figures des Presses universitaires de France à travers ses ouvrages mais aussi en tant que directeur de la collection “Sociologie d'aujourd'hui” et directeur des Cahiers internationaux de sociologie.
"Par la modernité de sa sociologie, exposée dans son recueil de chroniques paru en 2013, Du Social par temps incertain, et sa réinvention de l'enthropologie, dont les fondations sont posées dans Anthropologie politique, Georges Balandier est l'un des plus grands penseurs de notre monde contemporain", saluent les Puf sur leur site internet.
"Les sciences sociales, et avec elles les Puf, lui sont éternellement redevables de ce travail de défrichement et, par les projets qu'il a portés et la génération de chercheurs qu'il a suscitée, d'approfondissement de la sociologie la plus noble".
Au cours des dernières années, Georges Balandier voyait dans les nouvelles technologies l'émergence de "nouveaux Nouveaux Mondes", qu'il appelait les anthropologues à explorer afin de "produire la théorie qui permette de les interpréter et peut-être de les maîtriser un peu mieux".
La parole pleine de vigueur de Georges Balandier, dans ce reportage de 2010 (réalisation Alexandre Bonche, 2010) https://t.co/TH0buVv2Ke
— Sophie Dulucq (@Zolotaya_Moya) 5 octobre 2016