Who's where. Ceci n'est pas un livre. C'est un monument. Une somme érudite à placer dans sa bibliothèque à côté du Dictionnaire historique des rues de Paris de Jacques Hillairet, qui fait les beaux jours des Éditions de Minuit depuis 1960 et qui est d'ailleurs crédité dans la bibliographie. On n'ose imaginer combien de temps ce travail de Romain a demandé à son auteur, Gilles Schlesser. Un Parisien pur sucre, fils d'André, cofondateur du cabaret L'Écluse, 15 quai des Grands-Augustins, où débuta, entre autres, Barbara. Spécialiste de l'histoire culturelle de la capitale, Schlesser a déjà publié, par exemple, des Promenades littéraires dans Paris (Parigramme, 2017), et un Paris dans les pas de Patrick Modiano (Parigramme, 2019). Le Prix Nobel de la rue Bonaparte est d'ailleurs l'écrivain le plus cité dans ce Grand carnet d'adresses de la littérature à Paris (trente occurrences), soit aux adresses qu'il a habitées, soit à celles où le plus Parisien de tous les romanciers situe un personnage ou une intrigue.
Schlesser nous fait donc revisiter Paris, arrondissement par arrondissement, dans l'ordre, rue par rue par ordre alphabétique, puis numéro par numéro. Pour certaines, comme la rue de Condé, la rue de Tournon ou la rue des Saints-Pères, il y a un arrêt presque à chaque immeuble. Elles se situent toutes dans le VIe, notre arrondissement le plus littéraire, traité en près de deux cents pages, ce qui ne surprendra personne. Écrivains, mais aussi maisons d'édition, revues, grandes institutions comme l'Académie française, cafés, restaurants, librairies (celles qui restent) font sa fierté et la richesse de son exception culturelle, même si celle-ci est aujourd'hui mise à mal par les prix des loyers et la concurrence des boutiques de luxe. Pour d'autres rues, dans des arrondissements nettement moins littéraires (comme le XIIe et le XIIIe), quelques pages suffisent.
Le carnet mélange les adresses d'écrivains disparus (en majorité) et - et c'est peut-être le plus amusant − celles d'écrivains vivants (qu'ils y résident encore ou non), soit qu'elles soient publiques sur Internet, explique Schlesser, soit que les intéressés les lui aient communiquées. On imagine ainsi que c'est avec l'accord d'Erik Orsenna, l'un des rares habitants du XIIIe (passage Sigaud, près de la Butte aux Cailles), que l'on visite quasiment sa maison. De même pour Gérard, cinquième génération de Mordillat créchant fièrement au 222 de la populaire rue des Pyrénées (XXe), où il voisine avec le poète Jacques Réda. C'est du people érudit, jamais frivole, truffé de citations en exergue de chaque chapitre et de chaque rue, où l'on n'a relevé que très peu d'oublis : Guillevic, par exemple, habita longuement rue Émile-Dubois, dans le XIVe, avant de migrer vers le Ve, rue Claude-Bernard, dans son grand âge.
Ce Grand carnet est un livre où flâner, se perdre et se retrouver, apprendre mille choses, et qui se clôt en beauté, sur Georges Perec, lequel a vécu de 1936 à 1942 24, rue Vilin, dans le XXe. Sa mère y tenait un salon de coiffure, détruit en 1981. Il n'a survécu à cette disparition-là que quelques mois.
Le grand carnet d'adresses de la littérature à Paris
Séguier
Tirage: 4 500 ex.
Prix: 28 € ; 1200 p.
ISBN: 9782840499206