Le grand détour de France. Depuis des années, le Britannique Graham Robb sillonne l'Europe à vélo à la recherche de lieux et d'anecdotes. Avec sa femme Margaret, il a parcouru près de 48 000 kilomètres dont la majeure partie en France, cherchant à saisir la ligne de fracture entre le fait tel qu'il est enseigné et tel qu'il a été vécu sur le terrain, parce que « les explorations historiques sont imprévisibles ». Comme les étapes d'une course cycliste, aurait pu préciser l'historien vélocipédiste. Il y a la part du hasard rencontrée sur place et celle découverte dans les archives. Cette approche originale a donné Une histoire de Paris par ceux qui l'ont fait (Flammarion, 2010) et Une histoire buissonnière de la France (Flammarion, 2011). Dans cette nouvelle aventure, en selle et en bibliothèque, il révèle comment s'est fabriqué le territoire.

Une nation relève d'un principe spirituel, mais pas seulement. L'individu y prend sa part, même quand il est fictif. C'est le cas de Madame Bovary. Robb consacre un chapitre très juste à la portée du roman de Flaubert dans la représentation d'une certaine France. On pourrait en dire autant de Baudelaire, d'Aragon, de Valéry, de Proust, de Céline et de tant d'autres. Son approche de l'histoire est vraiment originale car elle s'appuie non pas sur les inconnus sur lesquels par définition on ne sait rien, mais sur ceux dont on a oublié le témoignage ou bien, ce qui est pire encore, dont on ne tient plus compte. Avec son air de sillonner sans y toucher, Robb nous dit des choses très intéressantes et plutôt positives sur ce pays qui ne va pas si mal qu'il le pense, réchauffement climatique mis à part. Cette manière d'aborder l'histoire en se glissant dedans, en y pédalant littéralement, n'est pas sans efficacité pour montrer les travers des réfractaires que nous sommes. Sauf bien sûr que c'est un Anglais qui vient nous faire la leçon, en toute modestie soit dit en passant. Car il n'y a jamais dans cet essai une once de morale. Robb aime trop la France pour cela. Et c'est justement pour essayer de mieux la comprendre qu'il l'a traversée de long en large sur son vélo et à travers le temps dans les archives.

De la préhistoire aux « gilets jaunes », la frise chronologique est vaste. Mais peut-être pas tant que cela. Des chasseurs-cueilleurs à la République, le terrain est le même. Seules les constructions ont changé, et avec elle nos relations. Mais dans le fond, Robb nous laisse entendre que l'essentiel est toujours là, de César à Macron, de la guerre des Gaules aux Gaulois rouspéteurs. À vélo, on voit mieux les maux. Mais aussi les mots. Ils viennent plus facilement quand on traverse les villages, les anciens terrains de guerre ou les châteaux quelquefois trop visités. S'il ne déteste pas les apartés, Robb tient la cadence comme dans un contre-la-montre. Toujours dans le peloton, il s'offre parfois de belles échappées. On lui décerne sans hésiter le maillot jaune pour cette course historique, cycliste et déroutante. Un très grand détour de France.