"La situation est vraiment dramatique" à La Procure, dans le sixième arrondissement parisien. Sur la période concernée par les grèves, l'établissement enregistre environ 50% de pertes par rapport au mois de décembre dernier, sans réel rattrapage les jours de week-end. "Les bons chiffres issus de la vente en ligne ne suffisent pas à compenser," explique la librairie, qui estime la fréquentation à un tiers de l'affluence normale à cette période. "Les gens ne se baladent pas dans la boutique, par conséquent il n'y a pas d'achat par impulsion," souligne l'établissement spécialisé dans les livres religieux.
Même constat, à quelques encablures, rue de Sèvres, à la librairie jeunesse Chantelivre. "Depuis le début des grèves et jusqu'à vendredi dernier, nous étions à 50% de chiffre d'affaires en moins par rapport à nos résultats habituels, et depuis on se trouve à moins 30%, indique la gérante. C'est la deuxième année de suite que cela nous arrive puisque nous avions subi le mouvement des gilets jaunes en 2018". Pour cette librairie spécialisée, "la clientèle de quartier ne suffit pas".
Chez Albin Michel, dans le septième arrondissement, c'est justement cette clientèle de proximité qui s'est évaporée avec la disparition des employés des ministères alentours, bloqués chez eux ou en télétravail. "Nos pics habituels se situent entre midi et deux ou bien le soir lorsque les gens sortent du travail. Mais en ce moment, il y a vraiment très peu de personnes," rapporte la directrice Shen Danhong. Elle estime qu'elle ne pourra pas rattraper le retard déjà accumulé, "même si le mouvement s'arrêtait maintenant".
Des librairies de quartier plus faiblement touchées
L'impact est "important" pour la jeune librairie ICI, boulevard Poissonière à Paris. Avec à peine un an d'ancienneté, l'établissement a peu de points de comparaisons. Mais sa co-gérante, Delphine Bouétard, perçoit une chute de fréquentation en fin de journée, "à la sortie du bureau, quand notre clientèle du deuxième arrondissement n'a qu'une seule envie : rentrer chez soi et éviter les galères du métro plutôt que de flâner". Avec deux lignes de métro à l'arrêt pour y accéder, la boutique ne peut compter que sur une clientèle de proximité, plus stable, en provenance du 9e arrondissement voisin. "En vérité, nous ne savons pas ce que ça va donner à la fin du mois, confie la responsable. Nous avons beaucoup de commandes sur notre site et ce samedi nous avons réalisé un bon chiffre. Si jamais le mouvement s'arrête, on peut peut-être même espérer une bonne semaine après Noël".
Le bilan est également nuancé, voire positif dans plusieurs librairies de quartier de la capitale. Aux Cahiers de Colette, dans le Marais (IVe), le libraire Nicolas Jalageas a remarqué "une baisse des achats sur la première dizaine de décembre, mais on constate un retour à la normale depuis vendredi". Au Comptoir des mots (XXe), la situation est "stable". "Les clients n'ont pas de transports à utiliser, donc ça ne nous pose pas de problème. C'était déjà le cas pour les gilets jaunes l'an dernier," rapporte le directeur de l'établissement, Charles Lafranque, qui communique un chiffre d'affaires en hausse de 2% à 3% par rapport à décembre 2018. Au Merle Moqueur voisin, on rapporte même avoir fait "un gros Noël", signe de la bonne santé de la boutique malgré l'absence de clients les jours de manifestation.
Globalement, les librairies situées en région semblent avoir été épargnées par les conséquences de la grève.
A Nice, Jean-Marie Aubert, directeur de Masséna, rapporte que seule la journée de mobilisation du 5 décembre a eu "un effet sensible", avec une chute d'environ 30% du chiffre d'affaires. "Les jours d'intempérie ont presque eu plus d'impact que l'arrêt des trams", relève le dirigeant, qui constate par ailleurs une "tendance positive depuis le début du mois, même si elle reste assez précaire". La seule chose à craindre, selon le responsable, est "un étalement de la performance sur le mois et un ralentissement possible dans les prochaines semaines dû aux achats préventifs réalisés en anticipation de la grève".
Chez Passages, à Lyon, on ne remarque pas de "grande différence" par rapport à l'an dernier. "Le parcours des manifestations passe par le centre-ville, à l'écart de l'établissement, donc nous sommes épargnés", indique un libraire. A Montpellier, la jeune librairie coopérative La Cavale note "un petit retard de 5000 euros, qui n'en est pas vraiment un puisque l'an dernier, à cette même période, nous célébrions notre ouverture avec une journée à 10000 euros", tempère le co-fondateur Julien Haution. Le libraire remarque tout de même que le délai de certaines livraisons s'est allongée dernièrement, et que l'affluence baisse légèrement les jours de week-end.
A Rennes, Le Faillier estime que le mouvement a eu "peu d'impact sur la fréquentation", mais beaucoup plus sur l'agenda des rencontres. Plusieurs d'entre elles ont dû être reportées ou annulées, faute de trains, comme celle de Jean-Michel Jarre, prévue le 17 décembre au soir.
Plusieurs grandes librairies comme Mollat à Bordeaux ou Dialogues à Brest étaient injoignables ce mardi pour cause de pic d'activité à l'approche des fêtes, et ce malgré les manifestations organisées partout en France.