Jeu de dupes. Résumons l'affaire. Le 1^er octobre 1968, le corps d'un ressortissant yougoslave, Stevan Marković, 31 ans, est retrouvé enveloppé dans une housse de matelas dans une décharge sauvage non loin de la ville d'Élancourt (Yvelines). L'homme a été assassiné. Règlement de compte au sein du milieu et crime presque banal, pourrait-on d'abord penser, avant de s'aviser que la victime n'est pas tout à fait n'importe qui. Marković est l'homme de confiance (relative, il est vrai...) de l'une des plus grandes vedettes du cinéma français de ces années-là : Alain Delon. Delon dont la réputation de goûter la compagnie des voyous n'était plus à faire. Et dont on découvrit bientôt qu'il avait peut-être quelque raison d'en vouloir à son ami des Balkans, amant de sa femme Nathalie et incurable bavard affligé d'un rapport assez lâche avec la vérité... Voilà qui, pour les échotiers de l'époque, pouvait devenir tout à fait intéressant. Ce n'était pourtant rien encore eu égard à ce qui allait suivre. Quelques jours après le meurtre de Marković, une rumeur dont on ne connut jamais vraiment l'origine enflamma le Tout-Paris. Il était fait état de parties fines, de photos compromettantes dont chacun affirmait connaître quelqu'un qui les avait vues, et d'éminentes personnalités publiques mêlées aux unes et aux autres... Parmi elles, une grande femme blonde, photographiée en scabreuse posture. Chacun s'entendait à reconnaître en elle Claude, la femme de l'ancien Premier ministre et candidat putatif à la présidence de la République, Georges Pompidou. « L'affaire Marković » devenait ainsi « l'affaire Pompidou », par l'entremise d'un jeu de dupes orchestré depuis de troubles officines où le mensonge côtoie sans vergogne le voyeurisme.

C'est ce fait divers qui était bien plus qu'un fait divers, plutôt un symptôme d'époque, celle d'un gaullisme qui n'entendait pas agoniser tout seul, qu'ausculte l'ancien patron du JDD et de Paris Match Hervé Gattegno avec sa rigueur coutumière dans Un cadavre sur la route de l'Élysée. Le tableau qu'il dresse de la France de ces années-là est un fascinant et atroce pandémonium. La corruption est partout à l'œuvre, le crime un des beaux-arts et la vérité un attrape-gogo. Les hommes tombent. Certains se relèveront.