L’objectif de l’intersyndicale était d’interpeller les candidats aux élections municipales. De ce point de vue, ce fut réussit. La CGT se dit même « satisfaite » de les avoir vus : Nathalie Kosciusko-Morizet (UMP), venue en personne, accompagnée de son conseiller culture Eric Garandeau, le Parti de Gauche, représenté par Anne-Emmanuelle Kervella et Bruno Julliard, adjoint à la culture de Bertrand Delanoë et porte-parole d’Anne Hidalgo (PS), rejoint par Régine Hatchondo, directrice des Affaires culturelles de la Ville de Paris, ont répondu à l'invitation.
Sifflets, drapeaux, … L’ambiance était bon enfant, même si les chefs de file syndicaux ont exprimé ouvertement leur « colère ». Pour eux, les bibliothèques sont en danger avec, comme motifs d’inquiétude les 80 postes qui restent vacants dont 50 qui vont être définitivement supprimés et la dégradation du service (réduction des horaires d’ouverture, fermeture d’établissements, menaces sur des petites bibliothèques, disparition des discothèques).
Dans le tract qu’ils veulent distribuer aux usagers des bibliothèques ce samedi 15 mars, on peut lire « Les deux principales candidates aux élections municipales vous promettent une augmentation des services aux parisiens mais avec quels moyens financiers et humains ? En réalité, les personnels diminuent et les budgets sont en baisse constante ».
Manque de moyens
Christine Diez, conservatrice à la bibliothèque de Paris, s’alarme du manque de budget pour la conservation et de l’absence d’anticipation pour la gestion du personnel « Il faut du temps pour qu’une personne soit qualifiée. On ne peut pas remplacer un départ à la retraite par une simple nouvelle embauche. Cela nécessite une transmission de savoirs ». Les compétences sont au cœur du malaise dans cette profession, qui voit ses métiers évoluer avec l’arrivée d’automates, d’ordinateurs, de liseuses…
Marie-Claude Sémel (SUPAP-FSU de la Directions des Affaires Culturelles) demande à ce que les bibliothécaires travaillent normalement. « Les moyens n’existent pas. Dans les conditions actuelles, on ne peut pas ouvrir le dimanche ». Or, les propositions de Nathalie Kosciusko-Morizet et d’Anne Hidalgo ne les rassurent pas. « Elles représentent une « caste » sociale, dont les envies entraînent une contrainte sociale comme ouvrir le soir ou le dimanche. Nous ne voulons pas que la culture serve à faire sauter la protection sociale » explique Mme Sémel. Elle reconnaît qu’il faut répondre aux besoins des étudiants, de manière spécifique. « Mais à chaque fois qu’une bibliothèque ouvre le dimanche, ce sont des coûts supplémentaires induits qui sont créés : en énergie, en sécurité, en transports… » Pour elle, les deux candidates ont des visions différentes de la culture, mais pas des bibliothèques.
Réformer l'administration pour NKM
Pourtant, si les propositions de « NKM » et de Hidalgo semblent similaires – élargissement des horaires notamment – les deux candidates ont une approche radicalement différente pour atteindre leurs objectifs. Pour la candidate de l’UMP, qui a écouté attentivement les revendications, il faut davantage d’agents de proximité et offrir des services publics à la base. Les budgets, selon elle, ont enflé, parce qu’il y a trop de chefs et la pyramide des âges accentuent cette tendance. Face à Mme Sémel, elle ne s’engage pas à créer des postes. « 14 000 emplois créés depuis 13 ans ont-ils amélioré le service rendu au public ? » demande-t-elle. Elle privilégie une réforme de l’administration locale. Certains syndicalistes s’accordent à dire qu’elle énonce « des choses justes sur le gonflement des effectifs ».
Une inégalité entre les établissements pour le Parti de Gauche
Anne-Emmanuelle Kervella, mandatée par le Parti de Gauche, refuse de toucher à l’emploi. « Les deux candidates veulent une culture sponsorisée, « bling bling ». Pour elles, il y a les petites et les grandes bibliothèques. Il n’y a pas de petites bibliothèques. Certaines ont même des fonds uniques dans certains domaines, ce qui les rend précieuses. Mais ce sont toujours les « grandes » qui bénéficient de l’action culturelle la plus attrayante : forcément, la fréquentation augmente dans ces établissements. Les « petites » n’ont pas cette chance. Il y a une inégalité flagrante entre les territoires ». Selon elle, aucune bibliothèque n’aurait du fermer pour cause de baisse de la fréquentation. Elle reprend aussi une demande des syndicats : offrir le prêt gratuit à tous les médias (DVD, CD…) pour que la culture soit accessible à tous, et éviter aussi la disparition de fonds pour ces supports.
Alors que les bibliothécaires commencent à partir de la cour pavée de l’Hôtel d’Albret, Régine Hatchondo, qui a rencontré les syndicats il y a trois jours, tente d’arrondir les angles. La transformation des bibliothèques exige en effet de nouveaux métiers. « Il faut réfléchir à un rééquilibrage en fonction de chaque bibliothèque, de leurs flux, et ce, sans perdre de qualité de service. » Elle revendique cette politique de cas par cas en fonction des établissements et des besoins des parisiens. Les critères sont variés : nombre de prêts, fréquentation globale, nombre de livres traités. Mais la machine s’enraye dès qu’il y a un congé maladie ou un employé en vacances. « Ils peuvent encore tirer sur les cordes » explique Mme Sémel, mais « on arrive au maximum ». Elle poursuit : « le risque est d’avoir des créations de postes précaires ou d’emplois d’avenir ».
Pour Régine Hatchondo, tout passera par le dialogue social. « La bibliothèque est le plus bel outil pour la démocratisation culturelle » plaide-t-elle.
D’ici là, l’intersyndicale veut sensibiliser les usagers et songe à d’autres actions avant le premier tour des élections. Pas sûr en revanche, qu’ils se manifestent entre les deux tours. Ils ont juste demandé aux bibliothécaires présents de se tenir « prêts à avoir des dimanches de libre ! »
Mais tout le monde s’accorde sur un point : les 50 postes demandés ne seront pas pourvus avant le 2e tour des élections municipales. La bataille ne fait que commencer.