Décryptage

Histoire : la nouvelle vague

À la librairie L'Écume des pages à Paris (VIe). - Photo OLIVIER DION

Histoire : la nouvelle vague

Bandes dessinées, atlas, infographies, documents... L'histoire est partout en librairie, et pas seulement là où on l'attend. Un constat revenu régulièrement lors des derniers Rendez-vous de l'histoire de Blois : face à un lectorat moins adepte des formats traditionnels, les éditeurs explorent avec succès de nouvelles voies tout en s'efforçant de proposer des ouvrages en résonance avec l'actualité.

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Par Charles Knappek
Créé le 20.11.2023 à 16h40

C'est la variété qui caractérise le marché des livres d'histoire. D'Histoire intime de la Ve République de Franz-Olivier Giesbert (Gallimard) aux nombreux ouvrages de et sur Simone Veil, en passant par Blanc, histoire d'une couleur de Michel Pastoureau (Seuil), et les atlas historiques de Christian Grataloup aux Arènes ou encore la série de bande dessinée Révolution (Actes Sud), les meilleures ventes font feu de tout bois, pour toucher tous les publics.

Cette diversité du rayon, bien visible aux derniers Rendez-vous de -l'histoire de Blois, s'accompagne d'une nette progression de l'activité au cours de l'année écoulée (+10,6 % en valeur entre septembre 2022 et août 2023 selon GFK). Ces données incluent la BD historique (+20,4 %), mais aussi d'autres segments plus habituels comme l'histoire de France (+10,8 %), l'histoire et les écrits sur l'art (+27,9 %) ou l'histoire du monde (+21,7 %), à l'intérieur desquels biographies et monographies traditionnelles cèdent le pas à de nouveaux concepts éditoriaux.

« Le marché ne serait pas aussi dynamique s'il restait centré sur des ouvrages de facture classique », confirmait dans les allées des Rendez-vous de l'histoire de Blois Xavier de Bartillat, P.-D.G. de Tallandier. Spécialisé en histoire, l'éditeur ouvre depuis plusieurs années son catalogue à la géopolitique ou la diplomatie, ce qui lui permet de davantage s'inscrire dans le débat public, sans rompre avec son identité. Tallandier réalise aujourd'hui ses meilleures ventes avec des auteurs comme Gérard Araud ou Thomas Gomart, dont les livres « décryptent l'histoire à l'aune des enjeux contemporains. » Idem chez Perrin, le rapprochement au sein d'Editis avec Robert Laffont permet d'aborder des sujets en lien avec l'actualité. « Nous publions en coédition des livres à forte connotation d'histoire immédiate, expliquait à Blois Christophe Parry, responsable éditorial chez Perrin. Travailler avec Robert Laffont nous permet de toucher d'autres réseaux, c'est vertueux pour les deux maisons. » Paru fin 2022, Le livre noir de Vladimir Poutine, codirigé par Galia Ackerman et Stéphane Courtois, est ainsi la meilleure vente de l'année écoulée pour l'éditeur. Mais Perrin ne s'interdit pas non plus de publier en son seul nom des livres d'actualité : paru en mai dernier, L'ours et le renard. Histoire immédiate de la guerre en Ukraine, de Michel Goya et Jean Lopez, a lui aussi trouvé un large public.

Mélange des genres

« Nous sommes aujourd'hui face à un lectorat qui s'est diversifié et se tourne volontiers vers des ouvrages au croisement entre sciences humaines et histoire », note pour sa part Blandine Genthon, directrice de CNRS éditions. La maison a connu son plus grand succès de l'année avec Russes et Ukrainiens, les frères inégaux d'Andreas Kappeler et continue de renforcer la part des publications associant sociologie et histoire avec, par exemple, L'invention d'une frontière de Benoît Vaillot, histoire sociale de la frontière -franco-allemande entre 1871 et 1914.

Ce renouveau passe également par l'essor de titres proposant d'entrer dans une thématique par l'image. Cartographies et infographies s'imposent dans les rayons pour attirer un nouveau public. Si Perrin a été précurseur en 2018 avec Infographie de la Seconde Guerre mondiale, Passés composés a repris le flambeau avec des titres dédiés à la Rome antique et à la Révolution française. À la rentrée, l'éditeur a publié deux nouvelles infographies sur les guerres franco-allemandes et l'empire napoléonien. « Les infographies sont des projets lourds à porter, qui coûtent très cher et demandent beaucoup de temps, souligne Nicolas Gras-Payen, directeur éditorial chez Passés composés. Mais le concept est novateur et nous a valu quinze cessions à l'étranger pour la Rome antique. C'est un motif de fierté car peu de livres d'histoire français se vendent aussi bien dans le monde. » 

Tout aussi ambitieuse à l'international, Les Arènes exploite depuis quatre ans la voie ouverte par le succès de l'Atlas historique mondial de Christian Grataloup. Développé avec le magazine L'Histoire et vendu à plus de 75 000 exemplaires, l'ouvrage s'exposait en larges piles sur le stand de l'éditeur. Il s'est exporté dans 14 langues et a été suivi de versions dédiées à la France et à la Terre. « Le Grataloup est devenu l'atlas historique de référence, non seulement en France mais aussi à l'étranger », se réjouit Jean-Baptiste Bourrat, directeur éditorial aux Arènes. De fabrication plus soignée, les livres d'infographies et de cartographies témoignent d'un autre rapport au livre, jusqu'à irriguer à la marge la production des monographies, notamment chez Perrin, qui développe depuis peu des éditions collectors de ses plus grands succès (Louis XIV, Churchill et, à la fin de l'année, Les grandes énigmes de l'histoire).

Les ouvrages traditionnels n'ont bien sûr pas disparu, mais leur succès est plus aléatoire. Publiés fin août, Jeanne du Barry d'Emmanuel de Waresquiel (Tallandier) et Histoire totale de la Seconde Guerre mondiale d'Olivier Wieviorka (Perrin) doivent leur bon démarrage à la notoriété de leurs auteurs. Chez Passés composés, L'empire mérovingien de Bruno Dumézil et Ravenne de Judith Herrin sont de purs livres d'historien, tout comme Histoire juive de la France, dirigé par -Sylvie Anne Goldberg (Albin Michel) ou l'ouvrage collectif Une histoire globale des révolutions (La Découverte), qui dépassent tous deux les 1 000 pages et témoignent de l'appétence toujours vivace d'une partie du lectorat pour les sommes. Moins porteur, le segment de l'histoire classique a tout de même renoué avec son niveau d'avant la crise sanitaire. « S'agissant de livres exigeants comme nous en publions, c'est un bon signal  », relève Stéphanie Chevrier, présidente de La Découverte, qui annonce notamment pour 2024 Juger Franco ? de Sophie Baby et La nature des hommes de Guillaume Blanc.

Côté petits éditeurs, l'année a été marquée par la cessation d'activité, fin août, de Vendémiaire. Mais au Félin, le directeur Stéphane Goulhot indiquait sur son stand réaliser « paradoxalement » l'une de ses meilleures années. « Je publie moins de sommes pour privilégier les petits formats structurés en chapitres courts », explique-t-il. La formule est bien connue des éditeurs et, à une époque où l'attention du lectorat est de plus en plus difficile à attirer, elle devrait continuer à faire ses preuves.

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