Faut-il croire Adrien Bosc, ce grand jeune homme de 28 ans, à qui toutes les aventures éditoriales semblent sourire, qui paraît avoir lu tous les livres et s’être vaguement donné rendez-vous dans toutes les villes où il n’aurait pas d’habitude, ce garçon d’Avignon qui semble comme échappé d’un film oublié de la nouvelle vague ? Faut-il le croire lorsqu’il prétend que oui, vraiment, il aurait pu ne pas écrire de roman, ne pas écrire celui-là, son premier, Constellation, que tout n’aura été dans cette affaire qu’"hasard objectif" et "alliés substantiels" ? Oui, non, peut-être. Oui, parce que l’on suppose que si ce garçon a une insolence, c’est d’abord celle de sa sincérité. Non, parce que cela devait bien arriver, le roman (et ses avatars). Tel est pris qui croyait lire et publier. Peut-être parce qu’il faut un début à tout ça et qu’ici ce serait un bar aux Açores, la lecture du Tabucchi des Femmes de Porto Pym et une vieille émission de télévision de Jacques Chancel avec le luthier Etienne Vatelot, lors de laquelle celui-ci se vit remettre la volute du violon de Ginette Neveu, disparue en pleine jeunesse, entre Paris et New York.
Le roman se nourrit de cela, du sentiment océanique, du souvenir des histoires que l’on n’a pas vécues et du chagrin d’autrui dès qu’on peut le faire sien. Ici, il y a quarante-huit histoires, quarante-huit romans, soit autant que de passagers et de membres d’équipage du Lockheed Constellation F-BAZN d’Air France qui dans la nuit du 27 au 28 octobre 1949 s’écrasa sur le mont Redondo au large des Açores. Parmi les morts, outre Ginette Neveu, donc, le boxeur Marcel Cerdan parti trop tôt rejoindre Piaf à Manhattan, le peintre mondain Bernard Boutet de Monvel, des bergers basques des Aldudes en quête de bonne fortune outre-Atlantique, un commandant de bord issu des rangs de la France Libre, une ouvrière de Mulhouse qu’attend une providentielle et richissime tante d’Amérique, une mère et sa fille en route pour Cuba, un tanneur fraîchement divorcé et se proposant de convaincre sa femme de renouer… Pour chacun d’eux, entrecoupé du récit du vol et des recherches pour retrouver l’oiseau gris tombé du ciel, Adrien Bosc compose un "tombeau d’acier" fascinant où s’écrit quelque chose comme la fin prématurée d’une époque, une après-guerre qui se rêverait glorieuse, ou au moins celle de ses illusions. Et si l’auteur finit par s’incarner lui-même dans son récit, ce n’est pas par un pauvre réflexe autofictionnel, mais pour répondre, dit-il, à la seule question qui vaille : "Où suis-je dans cette histoire ?"
Un fort potentiel.
Où est-il en effet, cet enfant d’Avignon, fils d’un architecte de Saint-Rémy-de-Provence, frère du romancier David Bosc (auteur de La claire fontaine chez Verdier), "monté" à Paris pour y suivre une classe prépa à Condorcet, titulaire de deux masters en Sorbonne et d’un master d’édition à Paris-4 ? Il rencontre bientôt en la personne de Gérard Berréby, fondateur et directeur des éditions Allia, la première des bonnes fées penchées sur son berceau. La deuxième sera Philippe Tesson qui l’engage comme commercial pour L’Avant-Scène. La troisième, Pierre Bergé, qui, parce qu’il était l’actionnaire historique de Courrier international, était donc susceptible de comprendre l’intérêt de Feuilleton le "magazine" trimestriel, né de la nécessité de mettre en lumière le "narrative writing" à une époque où l’étique s’oppose à l’éthique… Feuilleton paraîtra en septembre 2011 et, grâce à l’enthousiasme de tous, Volumen et représentants y compris, parviendra dans ce secteur fragile à se pérenniser. En janvier 2013, arrivée d’un petit frère, Desports, qui connaît lui aussi un succès identique. Pour Adrien Bosc, lecteur de Blondin et de Mailer, qui considère la victoire de l’OM en Ligue des champions ou la mort de Senna comme des dates essentielles de sa biographie, et pour son compère Victor Robert, journaliste à Canal+, le sport n’était pas la plus mauvaise façon de raconter le monde. Et puisque "il n’est pays que de l’enfance", le sport demeure par essence lié à ce pays perdu et retrouvé…Aussi, avant qu’il y ait, avec Constellation, des livres de lui, il y eut déjà, et il y aura encore, des livres à lui, ceux des éditions du Sous-sol (puisque initialement conçus dans le sous-sol des éditions Allia). Le très beau Sinatra a un rhume de Gay Talese ou l’uchronie footballistique de Louis Dumoulin, Les bleus dans les yeux. Bref, Adrien Bosc, généreux de ses idées, a un fort potentiel. Dans un monde littéraire que la crise rend mélancolique et atone, c’est bien. En fait de Constellation, le feu d’artifice ne fait que commencer. Olivier Mony
Constellation, Adrien Bosc, Stock, 195 p., 18 euros, ISBN : 978-2-234-07731-7. Sortie : 20 août.