Quand il y a trois ans Manuel Carcassonne succède quasiment au pied levé à Jean-Marc Roberts à la tête de Stock, il doit d’abord, souligne-t-il, absorber toute la culture de la maison. Mais qu’est-ce que la culture d’une maison d’édition dès lors qu’elle change périodiquement d’identité ? Aprèse avoir fait ses armes dans l’édition théâtrale au XIXe siècle, Stock s’est lancé à l’approche du XXe d’abord dans les essais au côté des dreyfusards, puis dans la littérature étrangère en développant la fameuse "Bibliothèque cosmopolite". Rachetée par Hachette en 1961, elle se distinguait encore dans les années 1970 et 1980 par ses documents d’actualité - la fameuse collection "Stock 2" - et sa collection de littérature étrangère avant que Jean-Marc Roberts ne la restructure autour d’un socle de littérature française avec la "bleue". Quelles permanences, quels intangibles subsistent derrière ces ruptures et ces changements de cap ?
Tous les sondages le montrent : l’écrasante majorité du public ne tient pas compte de la marque de l’éditeur lorsqu’il fait son choix en librairie. Mais pour les intermédiaires et les prescripteurs, libraires, journalistes, bibliothécaires comme pour les auteurs, chacune porte une identité et un imaginaire qui constituent une bonne part de sa valeur. Les éditeurs le savent : on ne peut pas faire n’importe quoi avec une maison d’édition. Sa réorientation est une affaire d’équilibre, de dosage entre les empreintes laissées par le passé et les nouveaux desseins dictés par le présent. Lorsque dans les années 1990 son P-DG d’alors, Claude Cherki, cherche à élargir le champ éditorial du Seuil, la question de savoir si tel ou tel ouvrage pratique ou illustré "est Seuil" ou "n’est pas Seuil" suscite en interne des débats passionnés.
Pourtant de nombreuses maisons telles que Denoël, les Presses de la Renaissance ou 10/18 ont changé, parfois plusieurs fois, d’identité. La trajectoire de Larousse, qui a procédé à un retournement spectaculaire, glissant de l’édition d’ouvrages de référence pesant leur poids et leur prix à la production à grande échelle de livres pratiques et pour la jeunesse, impressionne particulièrement. En attendant le nouveau visage de Stock.
