"Le bonheur passait par les rêves." Voilà pourquoi Crisóstomo s’y accroche. Ce pêcheur aspire à fonder une famille, il demeure pourtant dans la solitude. Celle-ci lui pèse tellement qu’il s’achète un pantin pour faire face au vide. Cette présence n’est qu’un leurre. Elle ne suffit pas à combler ses manques. "Il était un père à la recherche d’un enfant. Il n’avait pas eu de chance en amour, mais les amours ratées ne détruisaient pas pour autant l’avenir." Le sien semble rivé à la mer, depuis quarante ans. Il est cependant temps qu’il se risque à contre-courant.
L’écrivain portugais Valter Hugo Mãe a aussi eu le courage de forcer son destin. Il pousse son premier cri en Angola, en 1971, puis grandit au Portugal, où il est toujours établi. Diplômé en droit et en littérature portugaise contemporaine, il multiplie les expressions artistiques : écrivain, musicien, performeur, il écrit des chansons, des recueils de poésie, des livres pour enfants ou des romans. Son premier obtient le prix Saramago, dont le jury l’a qualifié de "véritable tsunami littéraire".
En France, on a pu lire L’apocalypse des travailleurs, dans lequel la recherche de l’amour relevait d’un dur labeur. Il y a comme un vent de douceur dans Le fils de mille hommes, même si ses héros sont confrontés à la rudesse de l’existence. Point de turpitude dans leurs solitudes. Ce sont juste des êtres qui ont pris trop de coups. Crisóstomo a choisi de se relever. Il est persuadé que le bonheur est à portée de main, à condition d’y croire. Par hasard, son chemin croise celui de Camilo, un adolescent orphelin. Ils s’adoptent mutuellement.
La naine du village voisin n’a pas eu cette chance, elle est restée solitaire. On dit qu’elle est "née d’un bourgeon. Avec sa toute petite taille, elle n’était qu’une fleur de femme, comme si les autres avaient été des arbres entiers." Aussi surprend-elle tout le monde en tombant enceinte. On comprend alors qu’elle est la mère de Camilo. Elevé par son grand-père, le vieil Alfredo, qui l’initie à la littérature.
Comment devenir soi ? C’est ce que doit aussi découvrir Isaura. Son désir la pousse dans les bras d’un homme, mais elle ne tarde pas à se sentir souillée par cet interdit. "Comme si un baiser pouvait laisser une cicatrice sur sa peau." Une transgression nullement pardonnée par sa mère autoritaire. Malgré sa voix brisée, elle va la condamner au silence du corps et du cœur. Isaura s’isole dans une camisole d’âpreté. Aussi ne s’apprête-t-elle pas à rencontrer l’âme sœur.
Tous les personnages du roman sont liés par le fil inespéré de l’amour. Ils l’ont tant rêvé et attendu qu’ils pensaient devoir y renoncer, mais la vie les contredit. Loin d’être sirupeuse, la prose de Mãe ressemble à un poème de García Márquez, Sylvie Germain ou Herta Müller, version enchantée. "Vivre c’était apprendre." La quête du bonheur peut faire peur, mais elle vaut la peine d’être vécue. Kerenn Elkaïm