Droits d’auteur

Indochine : le musicien, le journaliste, le livre et le procès

Le groupe Indochine, avec à droite Dominique Nicolas - Photo AFP

Indochine : le musicien, le journaliste, le livre et le procès

En 2021, Dominique Nicolas, musicien, compositeur et cofondateur du groupe Indochine, et Sébastien Bataille, écrivain et journaliste, signaient des contrats d’édition avec la maison Flammarion. Après l'abandon du projet, Sébastien Bataille publiait un livre intitulé Chaos Bang ! Je vous dis tout, contenant des passages divulguant des confidences relatives à sa vie privée destinées à rester confidentielles d'après Dominique Nicolas. Une affaire jugée le 13 décembre dernier par le Tribunal Judiciaire de Paris.

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Par Alexandre Duval-Stalla
Créé le 15.01.2025 à 12h48

L’affaire trouve son origine dans un projet de livre intitulé Confidences indochinoises, écrit en collaboration entre Dominique Nicolas, musicien, compositeur et cofondateur du groupe Indochine, et Sébastien Bataille, écrivain et journaliste. Le 27 octobre 2021, les deux parties avaient signé des contrats d’édition avec la maison Flammarion, incluant également un contrat d’adaptation audiovisuelle. Ces contrats stipulaient une égalité des redevances entre les co-auteurs.

Cependant, la collaboration a rapidement tourné court. Le 3 mars 2022, après avoir reçu les deux chapitres rédigés par Sébastien Bataille, Dominique Nicolas a informé son co-auteur que leur collaboration devait cesser : « Ça ne va pas le faire pour le livre ensemble ». En conséquence, Flammarion a résilié les contrats le 24 mars 2022. Pourtant, en septembre 2022, Sébastien Bataille publiait un livre intitulé Chaos Bang ! Je vous dis tout, contenant des passages extraits du projet initial, ce qui a conduit Dominique Nicolas à engager une procédure judiciaire. Il reprochait également à Sébastien Bataille d’avoir, dans ce livre, repris le contenu des deux chapitres écrits par lui et divulgué des confidences relatives à sa vie privée destinées à rester confidentielles, sans autorisation.

Après une lettre de mise en demeure du 10 novembre 2022 restée sans réponse, Dominique Nicolas a fait assigner Sébastien Bataille devant le Tribunal judiciaire de Paris pour réclamer la cessation immédiate de l’exploitation des chapitres litigieux, la restitution des enregistrements effectués lors de leurs entretiens et une indemnisation pour contrefaçon, pour préjudice moral et pour atteinte à la vie privée. Le 13 décembre 2024, le Tribunal judiciaire de Paris (Tribunal judiciaire, Paris, 3e chambre, 2e section, 13 décembre 2024 – n° 23/00502) a rendu un jugement marquant dans cette affaire liant création littéraire, droits d’auteur et protection de la vie privée.

Contenu narratif, style et mise en forme

Le Tribunal judiciaire a dû examiner les éléments juridiques liés aux droits d’auteur et à la nature de la collaboration. Selon l’article L.113-3 du Code de la propriété intellectuelle, une œuvre de collaboration est considérée comme la propriété commune des auteurs, qui doivent exercer leurs droits d’un commun accord. Le tribunal a constaté que les deux chapitres litigieux étaient le fruit d’un travail conjoint. Bien que Sébastien Bataille ait apporté le contenu narratif, le style et la mise en forme étaient aussi imputables à Dominique Nicolas. Ainsi, le Tribunal a considéré que le livre Chaos Bang reprenait ces chapitres sous une forme non validée par les deux parties, et constituait une contrefaçon. Il a condamné Sébastien Bataille pour préjudice patrimonial pour contrefaçon et préjudice moral lié à la divulgation non consensuelle. Il a également ordonné la cessation de toute exploitation des deux chapitres.

Liberté d’expression, intimité et l’honneur

Dominique Nicolas accusait également son ancien co-auteur d’avoir divulgué des informations personnelles recueillies lors de réunions de travail. Cependant, le tribunal a conclu que ces informations étaient liées à des anecdotes professionnelles et non à sa vie privée. Par ailleurs, le tribunal a également estimé que les critiques émises par Sébastien Bataille sur son blog ou dans son livre relevaient de la liberté d’expression, tant qu’elles ne portaient pas atteinte à l’intimité ou à l’honneur de Dominique Nicolas.

En reconnaissant les chapitres litigieux comme une œuvre co-produite, le tribunal a confirmé que toute exploitation exigeait l’accord des deux parties. Cette décision rappelle l’importance de respecter les règles spécifiques aux œuvres collaboratives. Par ailleurs, tout en affirmant l’importance de la liberté d’expression, le tribunal a rappelé qu’elle ne pouvait légitimer une atteinte aux droits moraux d’un auteur ; incluant le droit de divulgation et le respect de l’intégrité de l’œuvre. Cette affaire illustre les tensions possibles dans une œuvre collaborative, notamment lorsque les attentes des parties divergent. Elle rappelle également l’importance de définir clairement les droits et obligations de chaque partie dans un contrat d’édition.

Alexandre Duval-Stalla

Olivier Dion - Alexandre Duval-Stalla

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