Premières amours. Dans Les choses sérieuses, Isabelle Clair déroule une enquête autour des amours adolescentes. Elle l'a menée pendant quasiment vingt ans, de 2000 à la fin des années 2010, sur trois terrains aux marqueurs sociaux différents : les 8e, 16e et 17e arrondissements de Paris, une zone rurale populaire dans la Sarthe et un quartier de banlieue parisienne. Des dizaines de voix d'adolescents entre 15 et 20 ans sont ici restituées, commentées, analysées. La singularité de ce livre est sa capacité à donner à entendre ces voix, ces récits de jeunes adultes qui traduisent leurs pensées intimes, leurs sentiments naissants, les joies et les hontes que suscitent ces premières relations. L'ensemble est à la fois touchant et drôle, et l'expérience de lecture - une plongée dans une tranche d'âge réputée difficile et emblématique d'une forme d'inquiétante étrangeté qui s'atténue avec le temps -, tout à fait savoureuse. Ainsi Aliénor, terminale L raconte son flirt de vacances : « Il m'a pris par la main et on est sortis [du bar]. [...] On a marché pendant genre dix minutes en se tenant la main - c'était très mignon, quand j'y repense. » Ou encore Paul, en BEP agricole, qui fait le récit d'un premier crush : « On avait des petits coups d'œil, vraiment, le petit truc romantique, tout ça. [...] Même si je sortirai pas avec elle, au moins, je pense que je m'en souviendrai. »
La sociologue tisse des liens, établit des analogies ou note des différences déterminées notamment par le genre, la classe sociale, la couleur de peau. Elle remarque ainsi que dans chaque territoire appréhendé, c'est à partir de la « norme conjugale » que se définissent les relations au quotidien, et ce, même après les divers mouvements d'émancipation comme #MeToo. Être « célibataire » ou « en couple » apparaît comme un critère nécessaire de définition de soi, et ce, dès le collège. Excepté sur le terrain de la bourgeoisie parisienne, aucune mention de relation homo ou bisexuelle n'est faite par les jeunes, la norme demeurant celles de la conjugalité hétérosexuelle. Dans les classes populaires, la pudeur est de mise quant aux relations qui n'y entreraient pas. De là naissent par exemple les injonctions à ne pas « passer pour une pute » (avoir un copain permet aux filles d'éviter de devenir une proie « à priser ») ou pour « un pédé ».
À travers ces entretiens et ces analyses, c'est finalement le portrait d'une génération ayant aujourd'hui entre 25 et 40 ans qu'Isabelle Clair brosse avec finesse.
Les choses sérieuses. Enquête sur les amours adolescentes
Seuil
Tirage: 3 000 ex.
Prix: 21,50 € ; 400 p.
ISBN: 9782021510133