Tout commence par la livraison d'une machine qui ressemble à un frigo à un couple de gens ordinaires, les Pearson, qui ont été choisis pour la tester. Lui déborde d'enthousiasme ; elle se demande si les bruits de la machine ne vont pas déranger les voisins. Ils tentent de suivre les instructions et, après bien des ratés, constatent que l'étrange objet a permis la téléportation d'une cuiller en plastique... En bons consommateurs, ils sont les cobayes et premiers témoins d'une invention qui va bouleverser le transport de marchandises dans le monde. C'est également une source de disputes puisqu'il y voit un progrès alors qu'elle pointe le risque d'un chômage de masse. Peu à peu, l'invention fait son chemin et constituera le cœur − et la trame − de ce roman composé de nouvelles qui mettent en scène à chaque fois des personnages différents à une époque différente.
Plus loin, on croise Emma, une employée d'une société de déménagement venue rassurer une vieille dame qui s'inquiète de savoir si la machine programmée pour téléporter ses meubles et objets précieux sait traiter des matériaux comme le feutre ou l'ivoire... Un visage va hanter Emma, celui qui figure en portrait sur une peinture à l'huile : comment le tableau « recomposé » pourra-t-il être considéré comme identique à l'original ? Une saynète plus tard, on bascule dans le quotidien sordide du couple constitué par Franck et Katie. Il est obnubilé par ses muscles et refuse à Katie, résignée face à ses humiliations et à sa violence, l'enfant qu'elle espérait. Franck est trop occupé à prélever des morceaux de sa chair qui seront avalés par la fameuse machine : il se prépare à devenir le premier être humain téléporté... Mais comment, une fois revenu, s'est-il transformé en un mari tendre et attentionné ?
Suscitant fascination, idolâtrie et crainte, cette machine qui va séparer des amis et déchirer des familles est bien le personnage central et plutôt inquiétant de cet étrange et excitant roman. Au fil de la douzaine de nouvelles qui le constituent, on suit les prouesses d'une innovation technologique constamment perfectionnée tandis que, dans le même temps, on assiste au délitement des liens sociaux. Peu à peu, la « transtation » devient la règle : le monde ne connaît plus les flux incessants de fret et de passagers et, de fait, on ne voyage plus. Puis des incidents surviennent : des personnes se retrouvent nues au milieu de nulle part ; d'autres disparaissent... Tour de force, à la fois réflexif et cocasse par endroits, ce roman s'apparente à une fable plutôt jubilatoire sur les vertus du prétendu progrès, sur les contradictions économiques et sur la sacralisation de la consommation. Dans un environnement désormais constitué de duplicatas, alors que les citoyens se demandent si la téléportation consiste en un voyage dans le temps, seule l'imagination sauvera les réfractaires au scientisme, et il n'est pas surprenant que ce livre soit l'œuvre d'un poète.
Machin-Machine Traduit de l’anglais (Écosse) par Pierre Reignier
Liana Levi
Tirage: 5 000 ex.
Prix: 21 € ; 240 p.
ISBN: 9791034906499