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Jacqueline Chambon, après elle

Jacqueline Chambon et David Gressot. - Photo Olivier Dion

Jacqueline Chambon, après elle

A bientôt 80 ans, Jacqueline Chambon transmet sa maison rattachée à Actes Sud à David Gressot, un jeune éditeur de 35 ans. Une histoire de complicité littéraire et d’exigence éditoriale.

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Par Pauline Leduc
Créé le 02.02.2018 à 12h15

Le 5 février, David Gressot quittera Arles et le siège d’Actes Sud pour rejoindre Jacqueline Chambon à Paris. Dans les locaux du groupe, au 18, rue Séguier, dans le 6e arrondissement, l’éditeur retrouvera chaque jour l’éditrice pour travailler à quatre mains sur les titres de la maison spécialisée en littérature étrangère qu’elle a lancée sous son nom, voilà plus de trente ans, et qui a été rachetée par Actes Sud en 2001. Un tournant dans le processus de transmission en cours depuis près d’un an entre la fondatrice et son futur successeur.

Le jeune homme de 35 ans se partageait jusqu’alors entre Arles et Paris. Cette fois, il s’installe dans la capitale pour six mois à temps plein. "Il y avait un peu de frustration à être régulièrement éloigné, je souhaitais profiter d’un temps de travail en immersion avec Jacqueline", explique David Gressot. "Et lorsqu’il repartira dans le Sud, en juin, il sera au point et je pourrai lui laisser petit à petit les clés de la maison", ajoute Jacqueline Chambon, en riant face aux protestations de son binôme. "A chaque fois que je prends une traduction, je dis que c’est la dernière, et on me répond que je répète ça depuis cinq ans", s’amuse l’éditrice.

Affûtée

Agée bientôt de 80 ans, cette dernière n’a rien perdu de son parler affûté, patiné d’élégance, ni de son appétit pour les textes. "Je souhaite que la maison continue après moi, que mes auteurs aient encore leur place ; j’ai vu trop de structures qui ont fini par disparaître ou devenir complètement autre après le départ de leur éditeur."

Fin 2016, elle a donc appelé Bertrand Py, le directeur éditorial d’Actes Sud, pour lui faire part de son souhait de se "retirer peu à peu" et de trouver un éditeur pour l’aider. "J’ai immédiatement pensé à David Gressot qui, après un début de carrière à Toronto, travaillait depuis deux ans à la coordination éditoriale d’Actes Sud et que je voulais aider à évoluer vers un poste d’éditeur", raconte Bertrand Py. A ses yeux, le jeune homme est le candidat idéal : basé à Arles où sont regroupés les services généraux d’Actes Sud, il peut "représenter" Jacqueline Chambon mais surtout, "ses avis, ses notes de lecture sont fins et argumentés, et il est enthousiaste, plein d’humour et charismatique".

Bertrand Py connaît bien l’éditrice qui est entrée chez Actes Sud en 1979 et a travaillé huit ans aux côtés d’Hubert Nyssen avant de lancer sa propre maison. "Je pressentais que Jacqueline - une des personnes les plus intelligentes que je connaisse - l’adopterait." Il ne s’est pas trompé. Dès le premier déjeuner au cours duquel Bertrand Py les réunit, les accointances affleurent. "Je lui avais apporté un roman canadien que je trouvais formidable [La disparition d’Heinrich Schlögel de Martha Baillie, NDLR] et qui m’avait fait penser à sa ligne éditoriale ; j’avais l’impression que ce texte pouvait cristalliser nos goûts respectifs et peut-être servir d’appui à notre rencontre humaine", se souvient David Gressot. Le livre plaît instantanément à Jacqueline Chambon qui le publie.

Tous deux partagent quelque chose "qui ne peut pas se transmettre", un certain goût littéraire autour duquel Jacqueline Chambon a bâtit son catalogue riche aujourd’hui de 430 titres. Même si la maison n’est plus indépendante, financièrement parlant, et fonctionne comme une collection d’Actes Sud, elle jouit "d’une totale indépendance éditoriale", assure l’éditrice. Elle puise donc sa cohérence dans les choix de sa fondatrice.

De La pianiste de l’Autrichienne Elfriede Jelinek (1988) à La couleur des sentiments de l’Américaine Kathryn Stockett (2010), en passant par Un garçon parfait (2008) de l’écrivain suisse alémanique Alain Claude Sulzer, l’éditrice a toujours cherché dans les textes qu’elle publie "quelque chose de l’ordre du pas de côté, de l’écart littéraire, qui provoque l’étonnement voire la gêne". Une sensibilité que partage David Gressot, ce qui permet au duo de se répartir les lectures des manuscrits selon les langues qu’ils maîtrisent. Tous deux lisent l’espagnol et le catalan. Elle se charge des textes en allemand, lui des lectures anglo-saxonnes. Ensemble, ils font le choix des traducteurs en s’appuyant notamment sur des collaborateurs de longue date tels Edmond Raillard, Jean-Marie Saint-Lu ou Stéphanie Lux.

Au quotidien, la répartition de leurs tâches est bien rodée. Chaque traduction est toujours relue une première fois par l’éditrice, tandis que la seconde et dernière lecture incombe à David Gressot. Ils travaillent aussi à quatre mains sur la partie rédactionnelle, rédigeant ensemble argumentaires et quatrièmes de couverture. L’éditeur s’occupe seul de la présentation des titres à paraître auprès des représentants commerciaux, des relations avec le service commercial, de la présence dans les salons, foires et librairies. Et pour tout ce qui ne touche pas à l’éditorial, les services d’Actes Sud prennent le relais.

"Il est déjà prêt"

Le tandem respire la complicité, alternant éclats de rire et conversations poussées sur la littérature. Tant et si bien qu’on croirait plutôt assister à une collaboration entre deux éditeurs, qu’à une transmission. "J’ai l’impression qu’il est déjà prêt à prendre la relève", confirme Jacqueline Chambon. "Je ne suis pas vraiment d’accord, il me manque encore de l’aisance, notamment sur la rédaction des argumentaires de ventes", réagit David Gressot.

Pour l’heure, rien ne presse. "Je ne suis pas un poids financier pour Actes Sud puisque je ne suis pas salariée mais payée au pourcentage, je suis libre de me retirer à mon rythme", explique Jacqueline Chambon. Même son de cloche chez Bertrand Py. "Que Jacqueline puisse rester présente aussi longtemps qu’elle le souhaitera ; aujourd’hui David Gressot l’aide, un jour ou l’autre, c’est elle qui l’aidera, lisant ceci, suggérant cela", prédit-il.

Pour le jeune éditeur, une chose est sûre : il s’inscrira "pleinement dans la continuité" de la ligne éditoriale. "Ce qui ne m’empêchera pas d’injecter ma propre identité, en développant peut-être des titres en littérature francophone", précise-t-il. Jacqueline Chambon acquiesce.

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