Julien Pelletier, le fondateur de Japanim. - Photo DR
Japanim : la tactique d'un titan
Quand on lui demande son titre officiel, Julien Pelletier se déclare « duc de Japanim ». Un trait d'humour pas si loin de la réalité. En 25 ans, ce Breton a bâti un petit empire dans l'univers de la librairie manga, avec dix boutiques portant haut les couleurs du Japon dans l'ouest de la France.
Par
Souen Léger Créé le
07.10.2024
à 17h30, Mis à jour le 14.10.2024 à 10h33
À tout juste 20 ans, le 3 novembre 1999, Julien Pelletier fait atterrir à Lorient, sa ville natale, un véritable ovni dans le paysage de la librairie : une boutique consacrée aux comics et aux mangas. Les premiers s'effacent rapidement au profit des seconds. « À part Tonkam à Paris, il n'y avait pas grand-chose en magasin spécialisé. Le nom Japanim était libre, j'ai sauté dessus », retrace l'entrepreneur, désormais à la tête d'un groupe de dix librairies dans l'ouest de la France, pour un chiffre d'affaires de 7 millions d'euros.
60 salariés travaillent dans les dix librairies Japanim, réparties dans l'ouest de la France.- Photo DR
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Pourtant, au crépuscule d'un XXe siècle peu friand de culture manga, l'aventure aurait pu tourner court. « À l'époque, dans l'opinion générale, le manga, c'était la violence, du sexe, et des débiles qui se tapaient dessus », rappelle Julien Pelletier, biberonné au Club Dorothée.
Bricolage et fans hardcore
Le fan de manga n'attend pas la fin de ses études en gestion des entreprises et administrations pour se lancer dans les affaires. « Sur ce domaine sans historique, cinq banques ont refusé de s'engager », se souvient-il. C'est finalement son père, en se portant caution, qui lui permet de décrocher un prêt.
Un rayon manga chez Japanim (Atlantis, Saint-Herblain).- Photo DR
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Une vingtaine d'années plus tard, le libraire n'a aucun mal à obtenir les 450 000 euros nécessaires au déménagement du magasin de Rennes en plein centre-ville. Soit 300 mètres carrés sur trois niveaux, à la japonaise, avec un rez-de-chaussée dédié à la vente des albums, le premier étage consacré aux figurines, et le second aux produits dérivés. C'est qu'entre-temps la France est devenue le deuxième pays le plus consommateur de mangas derrière le Japon. Et que le fondateur de Japanim n'a pas chômé. Dès 2001, il a inauguré une seconde boutique à Vannes, avant d'enchaîner à Nantes, Rennes et Saint-Brieuc. « J'ai cru maîtriser mon domaine assez vite, ce qui n'était pas le cas », concède le quadra.
Un rayon de produits dérivés chez Japanim (Atlantis, Saint-Herblain).- Photo DR
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Celui qui n'avait pour expérience du métier qu'un stage chez Excalibulle, à Brest, agit en bourreau de travail. « Au début, j'y passe tout mon temps, je note les ventes sur un carnet, puis je bricole Excel pour faire un logiciel », se remémore-t-il. Heureusement, en ce temps-là, la production est mince, et la clientèle de « fans hardcore » très impliquée. « Une petite communauté me donnait un coup de main en magasin et sur les salons », raconte Julien Pelletier, qui a retrouvé cette petite troupe l'été dernier pour fêter le quart de siècle de Japanim.
De la galère au sursaut
Vingt-cinq ans, avec des hauts et des bas. Quelques erreurs de management, aussi, dans l'élan d'ouverture de ses cinq premières boutiques. « Je place des gens que je ne forme pas, en attendant d'eux qu'ils aient le même investissement que moi », commente Julien Pelletier. En 2009, rattrapé par la crise, il propose à ses salariés de racheter les librairies, à l'exception de celle de Rennes. Faute de repreneur, Nantes reste aussi dans son giron. S'ensuivent alors « trois années un peu galère, avec l'envie de faire autre chose », comme la gestion d'un restaurant de cuisine nippone ou de la rénovation de bâtiments.
Alors que les équipes de Nantes quittent le navire, le fondateur reprend la barre... Et renoue avec les sensations du début. La réconciliation est scellée en 2011, lors d'un voyage au Japon où il part à la recherche de fournisseurs de produits dérivés, rares et innovants. « Passer en direct nous permet de gagner 20 % à 30 % de marge », souligne-t-il. De quoi remplumer ses boutiques de Rennes et Nantes, dont le chiffre d'affaires triple entre 2012 et 2019.
Ce modèle économique robuste lui permet de racheter les autres magasins historiques. Au même moment, en 2019, il restructure le groupe autour d'une holding et crée une centrale d'achats à Sainte-Luce-sur-Loire pour mieux gérer les approvisionnements. Grâce à cette organisation, le réseau surfe sur la période Covid, puis, en 2021, le pass Culture gonfle encore le chiffre d'affaires. Avant que les ventes de mangas ne se tassent en 2022, puis chutent en 2023 (-18 % en volume par rapport à 2022 selon GFK).
Virage serré
Tandis que plusieurs ouvertures - à Nantes, Saint-Nazaire et Quimper - avaient été planifiées dans l'euphorie post-Covid, l'année 2023 devient celle de la rigueur. « Départs volontaires, CDD non renouvelés, mutations d'un magasin à un autre... On a réduit les équipes à 60 salariés, contre 70 au plus fort de l'activité », détaille Julien Pelletier. « Le plus dur est derrière nous », estime-t-il.
Mais pour rester à flot dans un univers de plus en plus concurrentiel, l'entrepreneur doit maintenir la cadence. Depuis 2023, deux « animateurs réseau » sont chargés de former les responsables de magasin. Autre nouveauté : à compter d'octobre, un site internet permettra la vente en ligne et le click & collect.
Le Breton envisage-t-il d'aller voir à l'Est s'il y a du nouveau ? Oui, mais alors loin, très loin à l'Est. « J'aimerais ouvrir une petite succursale au Japon, avec quelqu'un sur place qui puisse faire du sourcing », explique-t-il. Pour l'heure, le chef d'entreprise œuvre au Japanim du centre commercial Atlantis, à Saint-Herblain. « Je revois des clients qui ont 30-35 ans, auxquels j'ai conseillé leur premier One Piece, c'est super kiffant ! Comme la librairie n'est pas très loin de mon domicile, ça devait aussi me permettre de ralentir mon rythme de travail », pointe le libraire. Et d'admettre en souriant : « Ça ne marche pas pour l'instant, un jour peut-être... »
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