Il faut remonter au mois d’avril dernier, et à un article de La République, pour comprendre l’affaire. Jean-Philippe Delvaux, propriétaire de la librairie Delvaux depuis 12 ans, la seule de la ville, fait face depuis le début de l’année à d’importantes et surprenantes difficultés. Soutenu depuis longtemps par la mairie, administré par le député et président du groupe Les Republicains à l'Assemblée nationale Chrisitian Jacob, il déplore un arrêt brutal des commandes passées pour le compte de la bibliothèque municipale, ce qui représente un manque à gagner d’environ 10 000 euros pour la librairie. "C’était le premier coup bas", raconte-t-il aujourd’hui, contacté par Livres Hebdo, se défendant d’avoir voulu rendre la question publique.
Opposition politique
"Quand ils m’ont supprimé le marché de la bibliothèque, j’ai d’abord écrit une lettre au maire, mais je n’ai eu aucune explication", explique le libraire. "A un conseiller municipal d'opposition qui posait lui aussi la question, il a été répondu qu’on savait qui était derrière Delvaux'". Rue89 détaille : "Les municipales passent. Se profilent les départementales. Jean-Philippe Delvaux connaît de longue date Emmanuel Marcadet, le maire socialiste de Bray-sur-Seine. Ce dernier cherche des colistiers pour se présenter dans le canton de Provins. La sœur du libraire, Marie-Caroline, accepte de le rejoindre. La voilà donc en opposition à Olivier Lavenka, propulsé candidat de la droite. C’est là, selon Jean-Philippe Delvaux, que les ennuis ont commencé."
Et le librairie d’énumérer les représailles dont il fait aujourd’hui l’objet, en particulier depuis qu’il a osé répondre aux journalistes, ou faire part de ses difficultés et de ses questionnements sur sa page Facebook. "A chaque fois ils en rajoutent une couche", affirme Jean-Philippe Delvaux. Lors d'un conseil municipal, Christian Jacob annonce qu’un appel d’offres a été lancé pour l’approvisionnement des écoles de la ville, dont la moitié environ se fournissent chez Delvaux.
Problème : alors que la décision de la commission d’appel d’offres doit être rendue le 3 avril, plusieurs enseignants informent le libraire qu’ils ont reçu un courrier la veille, leur indiquant que la librairie Cyrano de Meaux, à 60 km de là, avait emporté le marché.
Le 4 juillet, "nouvelle punition" : Jean-Philippe Delvaux reçoit un coup de fil "un peu gêné" du directeur de l’office du tourisme - association dont il est par ailleurs membre - où il détient un dépôt-vente de livres historiques. Ce dernier lui explique que ses titres ne sont plus les bienvenus dans cet espace, alors que ces ventes représentent pour lui environ 15 000 euros par an.
Jacob nie les représailles
Interrogé par Le Parisien mercredi 22 juillet, Christian Jacob, tout en réfutant les accusations de représailles, reproche au libraire d’avoir fait état dans la presse régionale de l’arrêt des commandes pour la bibliothèque : "C’est en effet à la suite de cette intervention publique que le maire a décidé de lancer un appel d’offres pour les fournitures des écoles et Delvaux n’était pas le moins cher", détaille le quotidien, avant de citer le maire : "Puisqu’il est entré dans cette attitude politicienne, à être critique en permanence avec la municipalité, puisqu’il cherche la polémique, on a fait cet appel d’offres, reconnaît Christian Jacob. On ne peut pas se laisser marcher dessus comme cela !"
Pour Jean-Philippe Delvaux le message est clair : "Par ces mots, Christian Jacob assume : on ne doit pas critiquer la mairie, sinon il y a des mesures de rétorsion. Il nie aux gens le droit de parler politique. Je ne savais pas que c’était réservé à une caste !", s’exlame-t-il, avant d’interroger : "Doit-on se taire et tendre la joue gauche ?"
Un recours devant le Défenseur des droits ?
Surtout, le libraire ne digère pas la critique quant à ses "épanchements" dans les médias : "On me reproche de m’être exprimé dans la presse, c’est une négation de la liberté d’expression, ce qui signifie que nous sommes dans un système qui sort de la République. C’est peut-être un peu gênant pour le chef de file des Républicains à l’Assemblée nationale", tacle Jean-Philippe Delvaux.
Si la situation de la librairie Delvaux n’est pas encore désespérée ("nous nous sommes maintenus en 2014, 2015 démarrait plutôt bien"), le libraire pouvant notamment compter sur le soutien de 1500 personnes ayant signé une pétition pour la sauvegarde du commerce, l’avenir pourrait s’obscurcir. Mais le propriétaire refuse d’envisager le moindre licenciement : "Je ne suis pas du genre à capituler. Si la situation ne change pas, je pourrais envisager d’aller devant le Défenseur des droits. C’est une histoire de personnes, et j’estime être victime de harcèlement."